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substitué qui prendrait la nationalité affranchie sous sa protection et ne souffrirait pas qu’on lui contestât le droit d’exister. C’était un puissant auxiliaire pour Talleyrand dans la ligne qu’il avait à suivre. Chose assez singulière cependant, que sa correspondance et ses Mémoires attestent, il n’en éprouva pas une satisfaction sans mélange. Est-ce seulement parce qu’il avait rencontré dans Wellington et dans Aberdeen deux vieux amis, qui, se trouvant dans l’embarras, avaient pris confiance en sa sagesse et subissaient volontiers son influence, ou bien une sorte d’instinct divinatoire l’avertissait-il qu’il allait trouver dans le nouveau secrétaire d’État des Affaires étrangères, dont le nom était encore peu connu, un allié dont l’humeur ombrageuse et méfiante, l’âpre personnalité, le désir constant d’attirer sur soi l’attention et la faveur populaires, rendraient l’amitié incommode ? En tout cas, il fit à Palmerston entrant dans la Conférence à la place d’Aberdeen, un accueil sinon froid, en tout cas, moins cordial qu’on n’aurait pu l’attendre de la communauté désormais complète de leur ligne de conduite.

Le changement ministériel opéré à Paris avait eu une plus grande importance encore. C’était la dissolution inévitable de la coalition formée, comme je l’ai rappelé, au lendemain de 1830 entre des hommes d’État différant plus encore de caractère et de tempérament que d’opinion. Il y avait d’une part ceux qui avaient adhéré à la révolution à regret, en quelque sorte, à leur corps défendant, et qui, satisfaits du régime constitutionnel si déplorablement compromis par le coup de tête de Charles X, ne désiraient que de le faire rentrer et de le maintenir dans la voie dont, sans cette attaque imprudente, ils n’auraient jamais désiré le voir sortir : ceux, en un mot, qui voulaient le moins de révolution possible. En face d’eux il y avait ceux, au contraire, pour qui l’avènement d’un souverain élu n’était que le point de départ d’un renouvellement du même genre imprimé à l’ensemble de toutes les institutions. Pour les uns, la révolution était faite, il fallait la clore ; pour les autres, elle n’avait encore porté que la moindre partie des fruits qu’ils étaient en droit d’en attendre. Ainsi se dessinaient et se formaient dans le sein du cabinet deux partis qu’on appelait, dans la langue politique du temps, le mouvement et la résistance. Leur union purement accidentelle dans le même conseil devait se rompre d’elle-même. La résistance était appuyée sur la majorité de la Chambre des députés, qui sortie