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simples centurions et préfets de cohortes, c’était une bonne fortune de recevoir les épigrammes de Martial, qui leur mettaient sous les yeux les moindres incidens de la vie romaine. Le plaisir qu’ils trouvaient à les lire était partagé par la haute société provinciale, qui ne parlait plus que latin, qui voulait se tenir au courant de ce qui se faisait ou se disait à Rome. Quand Martial apprenait que ses vers étaient lus et répétés non seulement dans les villes de la Gaule, mais sur les bords du Danube et jusqu’au milieu des brouillards du Rhin et de la Bretagne, il ne pouvait s’empêcher de dire avec complaisance : « Je suis donc quelque chose ; nonnihil ergo sumus ! »

Sa situation matérielle était aussi devenue meilleure ; nous en avons des preuves certaines. Il avait très longtemps habité un appartement, qu’il louait, au troisième étage d’une maison située sur les rampes du Quirinal, tout près du temple de Flora. Dans les dernières années, nous voyons qu’il est propriétaire d’une petite maison à lui, pour laquelle il demande à l’Empereur une concession d’eau, prise à l’aqueduc de l’Aqua Marcia. De tout temps il a possédé un petit champ à Nomentum que peut-être il tenait de la libéralité des Sénèques[1]. Pour s’y rendre, il lui fallait louer une voiture ; vers la fin, il y est conduit par des chevaux qui lui appartiennent : c’est bien la preuve que, quoi qu’il dise, il était alors plus à son aise.

Mais il ne paraît pas qu’il en fût beaucoup plus heureux. Sa grande réputation, dont il se montre quelquefois si fier, il ne semble pas, à d’autres momens, en faire beaucoup de cas. « Ce Martial, disait-il, que connaissent tous les pays et tous les peuples, ne lui porte pas d’envie : il n’est pas plus connu que le cheval de course Andrémon. » Quant à l’accroissement de sa fortune, comme elle n’arriva jamais à lui suffire, il en était très médiocrement satisfait ; aussi, jusqu’à la fin, n’a-t-il pas cessé de se plaindre avec la même amertume. Il faut dire, pour s’en rendre bien compte, qu’il y avait en lui des instincts différens qui se combattaient. Nous n’avons vu jusqu’ici qu’un côté de son caractère, — et ce n’est pas le plus beau, — il faut laisser entrevoir l’autre, quand ce ne serait que pour prendre de lui, avant de le quitter, une meilleure opinion. C’était sans doute un homme du monde fait pour vivre dans les sociétés élégantes de Rome et qui s’y plaisait

  1. C’est du moins l’opinion de Friedländer.