Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/274

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Martial non plus n’y manquait pas ; il avait trop besoin des riches et des puissans pour risquer de leur déplaire. Ce n’était pas pourtant la sportule toute seule qui l’attirait chez eux ; elle n’aurait pas suffi pour le faire vivre, et il attendait de ses protecteurs des faveurs plus importantes. Le souvenir des dix millions de sesterces (deux millions de francs) que Virgile tenait, dit-on, de la libéralité de ses amis, surtout le bien de la Sabine qu’Horace avait reçu de Mécène, et qui l’a rendu si heureux, ne quittait pas la mémoire des poètes romains : c’était le rêve de tous les jeunes gens, qui, au sortir de l’école, se jetaient dans la littérature, et, malgré tous les mécomptes de la vie, ils n’y renonçaient jamais. Malheureusement, il n’y avait plus de Mécène. Depuis les Sénèques et les Pisons, la race s’en était perdue. Avec Vespasien, Rome s’était mise à un régime d’économie bourgeoise. Juvénal vit bien que, du moment que les grands seigneurs renonçaient à mener leurs existences fastueuses, les poètes ne pouvaient plus guère compter sur les libéralités d’autrefois ; et, comme il savait que la poésie ne pouvait pas vivre de ses ressources propres, il lui conseilla d’implorer l’aide de l’Empereur :

Et spes et ratio studiorum in Cæsare tantum.

Martial n’avait pas attendu le conseil de son ami pour se tourner de ce côté. Quand il vit qu’aucun de ceux auxquels il prodiguait ses complimens, ni Regulus, ni Silius Italicus, ni Atedius Melior, ni Arruntius Stella, n’étaient aussi généreux pour lui qu’il l’avait espéré, il s’adressa à l’Empereur, et, comme c’était assez son habitude, et qu’il craignait que, dans ce concert bruyant d’adulations, sa voix ne risquât de se perdre, s’il ne criait plus fort que les autres, il alla du premier coup à l’extrême et le combla d’éloges impudens. Il célébra pompeusement ses victoires, qui n’étaient le plus souvent que des défaites déguisées ; il le félicita d’être « le restaurateur des mœurs publiques, » quoiqu’il sût très bien que cet auteur de lois rigoureuses contre l’adultère des autres avait été l’amant de sa nièce et qu’elle était morte parce qu’il avait tenté de la faire avorter. Il déclara que c’était le plus doux des hommes, au moment où il venait de faire mourir Rusticus, Senecio et le fils d’Helvedius Priscus ; qu’on n’avait jamais été plus libre, quand il exilait tous les professeurs de philosophie, pour les punir de quelques réflexions morales qui lui étaient importunes ; il l’appela : « Notre seigneur et notre Dieu, » parce qu’il savait