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le personnage dont elles célébraient la générosité n’avait garde de les laisser se perdre. Il les lisait à ses amis, à ses connaissances, et les conservait précieusement. On savait bien que, si on en avait besoin, on les retrouverait chez lui, et c’est en effet là que plus tard on les alla chercher. Quand Martial fut devenu tout à fait célèbre, un libraire bien avisé eut l’idée de recueillir les petits poèmes que leur auteur avait négligé de publier et en donna une édition. Martial, qui n’en fut pas fâché, se chargea de la recommander au public : « Tout ce qu’il m’est arrivé d’écrire quand j’étais jeune et presque enfant, des sottises dont j’ai perdu moi-même le souvenir, ami lecteur, si tu veux perdre quelques heures que tu pourrais mieux employer, tu les trouveras chez Quintus Polius Valerianus : cet homme s’est promis d’empêcher qu’aucune des bagatelles que j’ai composées puisse périr. » Mais si les pièces de Martial, même sans être publiées, ne couraient pas de risques d’être perdues, elles étaient exposées à d’autres dangers. Bien des gens, qui les avaient entendu lire dans les réunions mondaines, dont elles faisaient les délices, les retenaient par cœur, puis les répétaient, et finissaient par se les attribuer. Il y en avait même qui les colportaient en province, où il était plus difficile de les convaincre de fraude, et se faisaient ainsi chez eux une réputation aux dépens de l’auteur véritable. Le seul moyen qu’il eût d’empêcher cette usurpation était de bien établir sa propriété et il ne pouvait le faire qu’en réunissant lui-même ses œuvres et en les donnant au public sous son nom. A partir de ce moment, il prit l’habitude de publier presque tous les ans, chez Secundus, chez Atrectus, chez Tryphon, les libraires en vogue, un livre d’épigrammes, qui en contenait une centaine.


IV

Nous n’avons de Martial que des épigrammes, et probablement il n’a pas écrit autre chose ; il semble s’être fait de ce genre une spécialité. On sait que ce mot avait, chez les anciens, une signification beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui. C’était proprement une courte inscription de quelques vers, et il désignait aussi bien l’épitaphe d’un tombeau ou la dédicace d’un autel que les malices qu’on crayonnait sur une muraille. Avec Martial, la satire y domine. Ce n’est guère plus chez lui qu’une petite pièce,