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faudrait pour le moins les décupler, sinon ils disparaîtraient dans l’immensité chinoise comme certaines rivières sont absorbées par le sable du désert. Nos inquiétudes pour l’amiral Seymour peuvent nous servir d’avertissement. La politique à pratiquer par les puissances à l’égard de la Chine est donc celle qui les rapproche et les unit, et non pas celle qui risquerait d’amener entre elles d’inévitables divergences. Si on s’écartait de la politique d’union, la diplomatie chinoise, qui manque de grandes vues sans doute, mais non pas de finesse, ni de souplesse, profiterait de ces dissentimens, comme la diplomatie ottomane l’a fait si longtemps et le fait encore, entre les puissances de l’Europe occidentale. Que d’atteintes à la foi jurée, que de vexations, que de massacres ont eu lieu dans l’orient de la Méditerranée, qui ont laissé l’Europe impuissante parce qu’elle était divisée 1 D’autres faits du même genre, et de plus odieux encore, pourraient se produire dans l’Orient des mers jaunes et trouver l’Europe également impuissante, incapable, si elle se plaçait au point où les intérêts particuliers se séparent de l’intérêt général, et poursuivent leur fortune distincte. La Chine pourrait alors se permettre, sans grand inconvénient pour elle, des fantaisies plus meurtrières encore que celles d’hier et d’aujourd’hui.

Par bonheur, toutes les puissances paraissent se rendre compte de la communauté de leurs intérêts. Nous avons dit pourquoi la France était moins suspecte que toute autre d’obéir à des vues particularistes : elle est essentiellement conservatrice en Chine. Quant à la Russie, la temporisation est si évidemment dans son intérêt qu’elle commettrait la plus grande des fautes en brusquant les événemens. L’Allemagne est établie depuis trop peu de temps dans la province du Chang-Toung pour avoir d’autre idée que de s’y consolider avant d’étendre plus loin son action. Quant à l’Angleterre, celle de toutes dont les prétentions sont les plus vastes, les plus démesurées, mais aussi les plus difficiles à réaliser, on sait pour quels motifs ses forces ne sont pas actuellement disponibles. La guerre du Transvaal n’est pas finie : et elle se prolonge au milieu de tant de difficultés et de lenteurs qu’on ne saurait distraire même un bataillon de l’armée que commande lord Roberts. L’Angleterre ne peut envoyer en Chine que de petits détachemens empruntés à l’armée des Indes, ou plutôt à ce qui en reste. A défaut d’autres considérations, cela suffit à la rendre sage, et lorsqu’elle parle d’union, d’entente, de solidarité, elle est certainement sincère. Restent le Japon et les États-Unis. Nous sommes de ceux qui croient que le Japon est destiné à jouer un jour un rôle considérable