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foule des courtisans en espérance qui faisaient probablement la même observation que moi.

C’est ce soin d’être toujours en rapport avec les puissans du jour qui faisait la force de la princesse de Lieven dans la société de Londres, et c’est là sans doute ce qui décida M. de Talleyrand à lui consacrer la page de ses Mémoires où il convient que, bien qu’ayant eu à se défendre parfois de son persiflage, il eut à se louer du concours que lui prêta, à plus d’une reprise, le ministre de Russie qu’elle dirigeait, pour prévenir ou atténuer les conseils de violence ou d’emportemens venus de Saint-Pétersbourg.

Quand la date de la réunion de la conférence approcha, il fut temps d’établir avec précision la ligne de conduite que devait tenir le plénipotentiaire de France. C’est à quoi il fut pourvu, outre les instructions officielles, toujours de leur nature un peu vagues, par un document écrit tout entier de la main du roi Louis-Philippe, et qui, par une intelligente appréciation de tous les intérêts en conflit et la prévision perspicace de tous les incidens qui pouvaient naître, parut à M. de Talleyrand un chef-d’œuvre de finesse et de raison. C’est l’hommage qu’il rend à cette pièce remarquable en l’insérant textuellement dans ses Mémoires[1].

C’était, en réalité, un problème assez compliqué, mais qui pouvait être posé dans des termes d’une rigueur presque mathématique.

Le point essentiel et que l’on pouvait considérer comme le facteur principal de la formule, c’était le maintien de l’indépendance acquise aux Belges par leurs généreux efforts et, par suite, la dissolution du royaume-uni érigé comme une œuvre de menace et d’hostilité contre nous. À ce sujet, aucune transaction n’eût été compatible avec l’honneur et la dignité de la France. Mais l’autre terme qu’il n’était pas moins nécessaire de combiner avec celui-là pour obtenir une solution pacifique, c’était de donner à l’État nouveau une organisation qui ne fût pas de nature à susciter chez l’Angleterre la crainte de voir reparaître, en vue de ses côtes et de ses ports, la prépondérance française qu’elle avait impatiemment soufferte pendant la République et l’Empire. Il fallait, en un mot, que l’arrangement nouveau effaçât la plus odieuse conséquence, mais ne parût pourtant pas la revanche de 1815.

  1. Mémoires, t. III, p. 380. C’est une lettre du roi adressée au maréchal Maison, chargé par intérim du portefeuille des Affaires étrangères pendant une crise ministérielle que j’aurai à faire connaître plus loin.