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Roubaix socialiste, M. Siauve Evauzy, traite de chacal à l’haleine fétide et voue aux dieux infernaux quiconque parle de cette œuvre dans un esprit de dénigrement.

Demandons-nous d’abord pour quelle cause spéciale Roubaix s’est trouvée une des premières villes de France gratifiée d’une municipalité socialiste. Grande cité industrielle, reliée à Lille par un long faubourg, Roubaix compte une population ouvrière, française et flamande, de 50 000 âmes, sur 125 000 habitans. Le reste se compose du petit commerce, et du personnel dirigeant des immenses usines de filature et de peignage dont les hautes cheminées s’élèvent comme une forêt et vomissent leur fumée noire. L’aspect de la ville, bâtie en briques, est assez propre, mais il ne faut pas pénétrer trop avant dans les couvées du Coq français, par exemple, où grouillent entassées les familles ouvrières. Dans une autre partie de la ville, sur le boulevard de Paris, s’étalent de somptueux hôtels, qui ne dépareraient point les environs de l’Arc de Triomphe et l’avenue du Bois : sculptures, colonnes, doubles escaliers de marbre, tapisseries anciennes et plantes rares. Ce sont les demeures, imprudentes en cet endroit, des magnats de l’industrie, dont les rapides fortunes se sont édifiées à partir de 1852. A s’en tenir aux apparences, Roubaix présente l’aspect d’une ville marxiste : grandes richesses accumulées entre quelques mains à un pôle, prolétarisation des masses à l’autre, par l’essor fatal de la grande industrie. M. Guesde et ses amis ne pouvaient trouver un champ de propagande mieux préparé que ces villes et ces campagnes industrialisées du Nord. Joignez à cela que les élections de 1892 avaient été précédées par une grève malheureuse. Le travail de nuit pour les femmes existait encore, et elles sortaient de l’usine à l’aube, épuisées par les veilles, le bruit et la poussière, au moment où leurs maris y entraient, après les stations chez le marchand de vin.

On conçoit le succès des journaux qui leur peignaient leur situation sous les plus sombres couleurs, et leur promettaient la délivrance. Les camelots, les crieurs de feuilles incendiaires sont les petits prophètes du peuple, influens au même titre que les marchands d’alcool. Aussi trouve-t-on les uns et les autres fréquemment représentés dans les municipalités socialistes. C’était la profession du citoyen Carrette, le nouveau maire de Roubaix : « et les riches fabricans de la ville, lorsqu’ils virent pour la première fois passer le camarade Carrette fumant son brûle-gueule,