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la psychologie du sport.

seil qu’un joueur de longue-paume donnait à son élève : « Appuyez-vous sur la balle, » lui disait-il ; — ensuite, par la succession rapide et l’imprévu des mouvemens. Il ne s’agit pas de répéter le même geste, mais de se tenir prêt à exécuter celui qui s’indiquera et de pouvoir l’exécuter avec précision et par conséquent avec retenue[1]. Le foot-ball, au contraire, est un sport de combat : la bataille y est même collective, ce qui suffit à faire comprendre comment les Américains ont pu appliquer à cet admirable jeu des principes tirés de la stratégie napolénienne et comment un officier général anglais a pu me dire qu’il y avait dans tout bon capitaine de foot-ball l’étoffe d’un futur chef d’armée. Son enthousiasme d’ailleurs l’égarait et de récens événemens ont dû lui prouver qu’il oubliait, dans sa conception de l’art militaire, de faire la part de la science.

Le polo qui se joue à cheval, le hockey que l’on pratique souvent sur la glace, le water-polo qui est une sorte de ballon aquatique, participent des caractères propres à l’équitation, au patinage, à la natation : c’est-à-dire que de ces trois jeux, les deux premiers sont des sports d’équilibre et le troisième un sport de combat. Atteindre la balle avec les maillets ou les bâtons recourbés dont on se sert au polo et au hockey ou bien s’emparer du ballon de water-polo qui flotte sur l’eau constituent des difficultés qui ajoutent à l’exercice un surcroît d’intérêt, mais ne suffisent pas à en modifier le caractère.

La chasse à tir ou à courre réunit les deux élémens, puisqu’elle associe l’équitation ou le tir, qui sont des sports d’équilibre, avec la poursuite et l’attaque du gibier qui participent du caractère combatif… Du reste, je ne veux pas, en prolongeant cette

  1. C’est, à mon avis, cette « retenue » qui, dans les jeux de balle, amène une fatigue souvent hors de proportion avec la force musculaire dépensée, parce qu’elle implique une assez grande dépense de force nerveuse. L’effet se produit avec bien plus d’intensité encore dans l’assaut de fleuret. Mon savant ami, le docteur Fernand Lagrange a attribué au rôle que joue le cerveau dans la combinaison des coups, l’espèce de dépression nerveuse, cérébrale, qu’il a notée, après l’assaut, chez beaucoup d’escrimeurs et qu’il a contrôlée sur lui-même. Depuis lors j’ai cru m’apercevoir que cette dépression, déjà moindre avec l’épée, devenait presque nulle avec le sabre, le poing (boxe) ou le bâton. Précisément de toutes les armes le fleuret est celle qui donne lieu aux plus fortes « retenues » dans le bras, dans la main et même dans les jambes. Le tireur au fleuret, — à la différence du tireur à l’épée, — doit être constamment prêt à « partir à fond » dès que l’occasion s’en présente, avec une soudaineté et un imprévu apparent qui puissent déconcerter l’adversaire. Il est donc sur un qui-vive perpétuel, attendant l’ordre de mobilisation interne qui le lancera en avant.