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cacement aux négriers[1]. En effet, l’efficacité de la répression de la traite dépend de la réciprocité du contrôle exercé sur les navires suspects. Mais ce droit de visite étant, par suite de la disproportion des deux marines, exercé plus souvent par des croiseurs anglais que par les nôtres, provoqua une certaine susceptibilité de la part de nos officiers de marine. On y vit une atteinte à la liberté de la navigation et même une offense au pavillon tricolore. Aussi, à propos de la présentation d’un nouveau traité avec l’Angleterre (1841) généralisant ce droit, plusieurs députés et pairs réclamèrent l’abolition des conventions de 1831 et 1833. Comme on essayait même d’introduire ce vœu dans l’adresse de la Chambre des pairs au Roi, en 1843, le duc de Broglie monta à la tribune et justifia les conventions faites dans l’intérêt de l’humanité. « Le droit de visite, dit-il, étant établi pour arrêter les navires négriers, il faut regarder sous quel aspect la loi française considère un tel navire ? Eh bien, la loi française considère si peu le bâtiment négrier comme partie du territoire français, qu’elle en prononce la confiscation. Elle le considère comme un instrument de crime. Or c’est ce qu’ont fait les conventions de 1831 et 1833 ; elles considèrent le navire négrier comme l’instrument d’un criminel fugitif, qui, sur la pleine mer, territoire commun à toutes nations, tombe sous la main d’un gouvernement étranger (séance du 25 janvier 1843). »

Le duc de Broglie réussit, pour le moment, à faire maintenir les conventions auxquelles il avait participé comme ministre des Affaires étrangères. Mais, deux ans plus tard, le ministère Guizot, sous la pression de l’opinion ultra-patriote, conclut avec l’Angleterre une nouvelle convention relative à la traite (28 mai 1847), qui substituait la vérification du pavillon à la visite des navires suspects de transporter des esclaves. Grâce à ces trois conventions anglo-françaises et à d’autres conclues avec le Danemark, la Sardaigne, la Norvège, les villes Hanséatiques et la république de Haïti (1833-1845), la France coopéra efficacement à la répression de la traite.

Mais, pour les amis de l’humanité, il ne suffisait pas de tarir la source où s’alimentait l’esclavage des colonies, il fallait encore diminuer les maux qui pesaient sur tant de noirs, enlevés de

  1. Le droit de visite était admis le long de la côte occidentale d’Afrique, depuis le cap Vert jusqu’à 10° au sud de l’Équateur et dans une zone de vingt lieues autour de Cuba, Porto-Rico, le Brésil, Madagascar.