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soin de travailleurs exotiques et « engagés par contrat, » pour des travaux agricoles et qui, pour les obtenir, ait eu recours à des pratiques qui, sous une apparence légale, ressemblent au fond à la traite. Telle est la Nouvelle-Calédonie. Depuis 1890, des commerçans de Bordeaux se chargèrent de recruter au Tonkin des indigènes, soit parmi les Annamites libres, soit parmi les condamnés, pour les transporter dans d’autres colonies françaises. Ce furent des Chinois qui firent le métier d’agens de recrute- ment : ils promettaient monts et merveilles aux indigènes et leur faisaient signer un papier, rédigé en français, par lequel ils s’engageaient à partir pour un pays qui serait spécifié ultérieurement et à y travailler pendant 5, 6, 10 ans, à raison de 7 francs par mois. Une fois transportés à la Nouvelle-Calédonie ou à la Réunion, on les offrait aux agriculteurs, qui payaient à la maison de commerce une prime variant de 150 à 500 francs ; mais, comme ce n’étaient pas les planteurs qui avaient signé le contrat, ils se dispensaient souvent de leur payer la mensualité convenue ou, à l’expiration du terme de l’engagement, ne les faisaient pas rapatrier. Cependant la maison de commerce avait fait un bénéfice de 85 et 435 francs par tète. Au bout de cinq ans, aucun de ces premiers immigrans n’avait reparu ; plusieurs condamnés, graciés par le Président de la République, étaient morts en exil, sans avoir été avisés de leur libération[1]. Il y eut alors, de la part des familles Annamites un tel concert de plaintes, que le gouverneur de rindo-Chine, M. de Lanessan, ordonna le rapatriement de 84 de ces malheureux, dont 30 moururent en route. Après une enquête faite par M. Chavassieux, gouverneur général par intérim et par M. Rodier, chef du service, on interdit absolument ce recrutement. Mais, sur les instances des agriculteurs de Nouméa et les réclamations des traitans de Bordeaux auprès du ministère des Colonies, le nouveau gouverneur général, M. Doumer, eut la faiblesse d’autoriser ladite maison à traiter ces affaires d’immigration (14 mars 1898). Et l’on décore cet abominable trafic du titre d’opération nécessaire pour la mise en valeur de notre empire colonial ! Tels sont les divers genres de servitude qu’on rencontre sur le territoire de nos colonies ou dans les pays soumis à notre protectorat.

On a pu voir, par ce rapide exposé des causes de l’esclavage et

  1. V. Joleaud de Barral, la Colonisation française en Annam et au Tonkin. Paris, 1899.