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sion. Ils objectent qu’interdire l’importation de travailleurs hindous, chinois ou polynésiens, ce serait ruiner celles de nos colonies où les ouvriers européens ne peuvent supporter le travail sous le soleil des tropiques. On a souvent aussi invoqué l’honneur du drapeau et par là gêné le contrôle de la traite, afin d’empêcher le droit de visite à bord des navires suspects d’être négriers. Ainsi, les partisans intéressés de ce trafic barbare sont aussi tenaces qu’ingénieux.

Il ne faut donc pas que les amis de l’humanité désarment et s’endorment sur les lauriers cueillis après les premières victoires. La France républicaine et démocratique ne peut pas faire, pour l’émancipation des derniers esclaves, moins que n’a fait la France monarchique et aristocratique. Qu’était-ce après tout que les colonies laissées à la France aprèa le grand désastre de l’Empire ? Peu de chose. Aujourd’hui, par suite des expéditions heureuses de Charles X et de Louis-Philippe en Algérie, de Napoléon III et de la troisième République en Indo-Chine, en Tunisie et à Madagascar, ce domaine est devenu on empire peuplé d’au moins 30 millions d’âmes. Notre responsabilité envers les races exotiques s’est accrue avec notre empire colonial. Qui ne s’indignerait à la pensée que des hommes gémissent dans les chaînes, à l’abri du pavillon qui a été depuis un siècle le symbole de la fraternité et de l’espérance des nations ? La France s’est associée à l’œuvre de cette Conférence de Bruxelles dont M. Jamais, sous-secrétaire d’État aux colonies, disait avec raison « que c’était l’effort le plus considérable, qui ait encore été fait par les nations civilisées, contre une des pires formes de la barbarie[1]. » Mais rien n’est fait, tant qu’il reste encore des esclaves ou des travailleurs forceps sur un territoire français. C’est donc avec raison que la Société anti-esclavagiste de France a convié tous les adversaires de cette lèpre sociale à un congrès international, qui doit avoir lieu les 6, 7 et 8 août prochain à Paris.

« On y fera, dit le programme, l’histoire des progrès accomplis depuis la fondation des sociétés anti-esclavagistes et par l’action des missionnaires et explorateurs ; on exposera l’état actuel de l’esclavage et de l’alcoolisme et on étudiera les moyens de remédier à ces deux fléaux de la population noire. » Nous voudrions écrire, pour ainsi dire, la préface des travaux de ce

  1. Circulaire du 13 avril 1892 aux gouverneurs du Sénégal, de la Guinée, du Congo et d’Obock.