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Les cœurs froids n’ont pas de peine à se déprendre. Beaucoup de saints n’ont rien pu faire de mieux que d’être saints, sans doute ; mais plus d’un, peut-être, n’eût pas pu faire autrement. La charité peut être le pis aller d’une âme sèche et lente, à qui la raison persuade le beau parti de s’émouvoir. L’imitation de Dieu, ou un zèle décidé pour le devoir, ouvrent une vie inespérée à des hommes, honnêtes par nature, mais d’une vertu sans horizon jusque-là, et pour ainsi dire sans espoir. Parfois ils sont tels qu’ils font tort de leur vertu à la vertu même. Plus d’un sectaire froid ignore que la raison qu’il a est moins féconde que les torts qu’elle n’a point et qu’elle combat. Il y a, dans la vertu qui court le monde, beaucoup de paille, et l’apparence seulement de l’épi ; faute de cœur, l’épi est vide ; la moisson paraît belle, et sur l’aire on recueille à peine un peu de grain. Que de gens doux sans douceur, et que de mollesse ou de froideur qui paraît bonne ? Le plus souvent, la bonté n’est faite que du mal absent, comme la paix entre les hommes résulte, non de l’horreur qu’ils ont de la guerre, mais de leur lâcheté à la faire.

L’ascétisme du cœur est donc une lutte et une victoire continuelle. La force la plus grande s’y exerce à vaincre sans cesse, pour triompher sans cesse d’elle-même. Voilà comme est Pascal. Son image seule conte ce combat perpétuel en traits inoubliables. L’extrême tristesse de ce visage sans maigreur, la profonde attention de ce regard penché ne parlent pas d’une âme naturellement sainte. Toute la puissance de cette âme est cachée. Le front de l’homme fuit ce que ce regard rêve en lui-même, tant il l’a pris à soi ; et tout ce que cette bouche, si avide à la fois et si dédaigneuse, s’avance pour goûter, le menton en dément l’appétit, et le ravale.

Il n’y eut point, je le sais, d’homme plus passionné que celui-là. À cause de sa passion, il est malade. À cause d’elle, il aime, il appelle, il attend Jésus-Christ comme personne ne le pouvait faire ; non pas seulement en fidèle ; non pas seulement en fils prosterné qui espère, ou qui craint, ou qui court au-devant de son père, mais, en propre participant des plaies. Il les ressent aussitôt que pensées. Les extases des plus grands saints ne sont pas plus humbles que les siennes, et il en est de plus amoureuses. Mais leur humilité tient plus de la faiblesse que celle de Pascal qu’il tire de sa force. Leur amour est de créature ; et l’amour de Pascal est, en quelque sorte, de compagnon et de héros souffrant