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se suffire de lui-même, comme font ces petits. Se plaire à soi marque la force, mais jusqu’à un certain point seulement.

« Pour que Pascal supportât la vie, il était nécessaire qu’il crût. Il a eu la foi la plus vive. Et la preuve, c’est qu’elle était triste. Les simples d’esprit sont seuls joyeux : cette récompense leur est acquise. Une grande âme qui croit est toujours triste. Car elle est dans le monde comme Colomb revenant d’Amérique : et elle pense que le monde est peu.

« Le mol oreiller, que dit Montaigne, a beaucoup de douceur, en effet : il est bon aux têtes bien faites, qui le sont au tour commun. Mais il n’y a point de repos sur cette plume à des têtes singulières. Il en est qui ne peuvent dormir sur le duvet.

— De toutes parts, observai-je, on les accuse alors de maladie…

— C’est le propos vulgaire, qui a, d’ailleurs, sa vérité. Tous, nous sommes des malades qui périclitent. La maladie est mortelle, c’est le mot ; et l’issue en est sûre. Les plus heureux ne connaissent pas leur maladie, ou la portent en riant. Un peu de santé change toute la vue des choses. Mais ceux dont l’âme est non commune payent de leur santé cette maladie-là. Pour toujours ils sont malades. Ne renient-ils pas la joie ? Et cependant qu’ils en sont riches parfois, et qu’il en est, dans leur nombre, qui l’aiment… Mais ils ne veulent plus y croire. Les partis de la volonté sont les plus beaux de tous. Ce sont ceux de l’Intelligence qui a pénétré l’abîme du Cœur. Et la beauté de l’âme ascétique est là.


iii. — ascétisme du cœur


L’ascétisme du cœur est le triomphe le plus rare de l’âme. C’est l’exercice de prédilection pour les âmes qui n’ont point de semblables. Il est la grande tentation des plus saintes, qui l’envient quand elles le connaissent, mais sans pouvoir y atteindre, car bien peu y réussissent. Les âmes froides ne peuvent seulement pas comprendre en quoi cet ascétisme consiste. Et il y faut d’abord, en effet, des passions brûlantes, un feu qui se replie sur soi-même, qui se cache et se dévore.

J’ai connu des hommes épris de pénitence et qui eussent voulu avoir deux corps à faire souffrir, pour travailler leur chair d’une double souffrance. J’en ai vu d’autres, tentés par le zèle de charité, qui eussent créé les malades en ce monde pour leur donner