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qu’il fait en géométrie, qu’il me semble lui voir faire en morale comme en tout le reste.

« Nul homme n’a aimé plus que lui les tâches difficiles. Il les tente toutes avec passion. Il veut être saint, parce qu’il ne s’en croit pas capable. Il veut être saint, autant par tout ce qu’il se sent de forces qui y sont propres, que par tout ce qu’il sait en lui de puissances contraires à la sainteté. Il mesure donc son cœur aux tâches les plus difficiles ; et sa grandeur d’âme ne les estimait peut-être qu’en raison de la difficulté.

« Les moyens qui abrègent, et ceux qui aident l’esprit ne lui répugnent pas moins que ceux qui prétendent prêter l’épaule à la vie. Pour une âme si forte, rien n’est digne d’elle qui ne l’exerce pas ; et ce qui ne coûte pas beaucoup a peu de prix pour un goût si rare. À un certain degré, ni le cœur ni la raison ne se satisfont de rien qui ne soit achevé. Celui qui est épris de perfection n’a qu’une volonté, — qui est de la joindre, et que tout contrarie. Sans cesse il y va pour lui de la vie, et de rien moins. Nul effort ne le retient à ce qu’il a. Il est tout en ce qu’il cherche. Au cœur passionné, le déplaisir de vivre s’accroît infiniment plus par la foi que par le doute. C’est pourquoi les passionnés doutent peu : ils préfèrent naturellement leur ardeur triste à une joie tempérée. À leurs yeux, il n’est de vrai bien que le souverain bien. La morale facile est la mort de la morale, et ils la haïssent. Il n’y a point de devoir si aisé, que la plupart du temps le contraire ne soit bien plus aisé encore. Tout ce qui est facile est selon la nature ; et la nature est pleine de crimes… Quoi, de crimes ?… Oui : et bien plus, de crimes aisés.

« Rien n’était donc trop difficile pour Pascal ; c’est qu’il se proposait la vérité et la perfection mêmes, le bien unique, enfin Dieu. Il n’aime et ne souhaite que Dieu ; mais il voit toute la nature en révolte contre lui. L’homme n’y manque pas. L’homme est le prince des rebelles qui doit déposer les armes, et se repentir de sa rébellion. Quoiqu’on pense du reste, l’idée de sa rébellion est dans l’homme le commencement de la conscience, sinon de la sagesse : c’est par là qu’il commence à défaire le nœud du Moi.

« S’il n’avait eu tant de passions secrètes, Pascal ne les eût pas accablées toutes. Mais il les avait découvertes, et ne leur laissait pas de repos. Il connaissait seul le terrible rebelle qu’il avait à vaincre. Jamais il ne l’estima assez vaincu. Il aimait à dompter la nature, comme Alexandre à conquérir. Chacun de nous, s’il est