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Un trait singulier est celui des paupières abaissées, dont les bords paraissent s’entr’ouvrir, et dont l’épaisseur surprend ; c’est que la cire, qu’on y mit pour défendre les cils contre la brûlure du plâtre, a fait corps avec lui, et l’empreinte étrange en est restée au masque. Ainsi cet ennui sans bornes, ce parfait dédain dans la sérénité du repos, semblent sourire. Et rien n’est plus émouvant pour la pensée que cette paix sereine de Pascal entre les mains de la mort : elle contemple la douceur du salut, au sein de la volonté divine, et sourit désormais à son mépris même de la vie, et de toutes les misères qui tourmentent cette malade.

« Quel homme en France, pensait M. de Séipse, fut jamais l’égal de celui-là ? — Il a été le plus grand ; car il a eu les grandeurs de presque tous les autres. Il est à la fois le poète, le saint et le savant, l’homme qui voit, l’homme qui sait, l’homme qui pense ; — bien plus : l’homme qui a toutes sortes de puissances, et qui les dédaigne toutes au prix de celle qu’il se sent. La force de sa pensée ne le cède à aucune autre ; mais il se plaît à l’humilier. Il n’est pas sensible à ce qu’elle peut, mais à ce qu’elle ne peut pas ; il se porte d’abord à ses bornes ; il se tient pour son ordinaire où les autres finissent seulement par s’arrêter. Il a un bien plus grand mépris qu’il ne veut dire des petits esprits et des médiocres : mais son dédain ne s’y attarde pas, et préfère aller du premier coup aux plus grands. Sans doute, il fait fi de ceux qui déraisonnent ; mais c’est pour faire moins de cas encore de ceux qui s’enorgueillissent de la raison. La science est l’essai qu’il fait de sa force ; et il ne veut pas que rien y aide ; pas même une méthode : il répugne à la mécanique de l’esprit comme indigne du sien. C’est le secret de son ressentiment contre Descartes : outre que Dieu révélé n’est pas nécessaire à ce système du monde, Descartes donne trop à la mécanique de la pensée ; il n’oblige plus le géomètre aux prodigieux efforts de la recherche à la manière des anciens ; au gré de Pascal, il ôte trop à l’imagination. Pascal est comme Archimède, son héros dans l’ordre de la géométrie : il veut ne devoir qu’à lui seul toutes ses découvertes ; il veut contempler les figures, et les réduire au nombre par la force même du raisonnement ; il ne lui plaît pas que le symbole se place entre l’objet du problème et la construction géométrique : Pascal, le premier, a passé le seuil du calcul de l’infini, allant, par ses voies propres, du même pas qu’un ancien aurait pu faire, sans prendre les chemins aisés où Newton et Leibniz se rencontrèrent. Et c’est ce