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face à face, quelle paix ineffable respire son ennui. Ce n’était donc que cela ?… Et quel mépris !…

Pour me faire savoir si Pascal est mort en Jésus-Christ, il ne faut que ce visage : jamais Pascal, depuis le jour qu’il est né, n’exprima une telle profondeur de repos. Il a reçu la main de la mort, de la main même de Jésus-Christ ; et, donnant sa main à la mort, selon l’ordre de Dieu, il a mis l’autre, avec son âme et tout son être, dans la main même de Jésus-Christ. — Pascal vivant dit l’attente perpétuelle de ce moment. Et Pascal mort en révèle l’accueil ; que le moment unique l’a rasséréné pour jamais ; et qu’enfin, dans un sublime ennui du monde, une route est ouverte qui mène à un repos sublime, où l’espoir comme la terreur, où le dédain même a pour toujours la paix.

Pascal a mesuré bien des abîmes, en lui et dans les autres hommes. Mais il a surtout connu et pratiqué les siens. Cette grosse lèvre, qui s’avance épaisse et rouge, n’a tout dédaigné que sur l’ordre d’une pensée toute-puissante. Et cet ordre impérieux lui a été cruel, sans doute. Elle a voulu peut-être s’y soustraire. Qui résistera à Pascal, si ce n’est Pascal même ? — Mais qui Pascal craindra, sinon Pascal ?

Il a connu ses précipices ; et il les a redoutés profondément, parce que la profondeur lui en était connue. Pascal sait bien que tous les hommes en seraient là s’ils pouvaient seulement soupçonner leurs abîmes. Mais comme ils ne les voient même point, ils ne les mesurent pas. Pascal soupçonne, voit et mesure. Nul n’est allé plus loin dans la connaissance de l’homme. Nul n’est donc allé plus avant dans la crainte de l’homme. Et c’est pourquoi Pascal ne quitte plus d’un instant Jésus-Christ.

Il lui faut Jésus-Christ, ou tout croule, et lui-même tombe sous le poids des mépris. Vous autres hommes, qui riez et ne savez point, vos précipices ne sont guère à vos yeux que les erreurs et les misères communes ; vous vous voyez en des rivières où c’est à peine si l’on perd pied, et il ne vous faut qu’une barque ou trouver le gué. Vous êtes noyés et rejetés en pourriture sur la rive, que vous n’avez pas encore peur de cette eau. Pascal est fait d’une autre sorte : il ouvre les yeux sur l’immense océan où il s’éveille, et il s’y voit flotter ; l’infini sous les pieds ; l’infini sur la tête ; un infini de tous les côtés ; un infini de mal, d’ignorance, de terreur et de peine. Pascal n’est pas comme vous, pour tâter un infini du pied, et chercher le gué de l’infini. Mais Pascal