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ii. — pascal

Le musée, en forme de chapelle, contient quelques portraits. D’un côté les docteurs, les religieuses de l’autre. Au-dessus de la porte, Jansénius. L’évêque d’Ypres a l’air savant, systématique, têtu, étroit et froid ; un front haut, un visage pointu, non sans ruse. M. de Saint-Cyran montre une figure déjà d’un autre âge : une énergie violente, une force opiniâtre, le visage d’un homme qui manie l’épée et la plume du même bras ; homme du temps de la Ligue, capable de faire campagne, et de tenir tête à une armée ; non pas un docteur, un théologien en armes ; la barbe grise et dure, le teint chaud, l’air sanguin, l’accent de l’action, le pli de la colère. Le grand Arnaud justifie son nom : une vaste et forte tête, un crâne puissant, le front haut, large, droit, une forteresse de doctrine, une citadelle d’érudition et de théologie. Sa mère, la fondatrice de l’abbaye, est la source manifeste de cette force, la base de l’édifice : c’est une femme rude, épaisse, membrue comme un homme. Rien de doux, ni même de son sexe. Du poil aux lèvres ; de la chair drue en dépit des austérités ; sous la graisse, l’on sent les os, gros et larges : voilà la mère d’une famille redoutable par le nombre et les ressources ; tout en elle est solide, volontaire, nourri de substance et de raison. Qui la voit, et le grand Arnaud près d’elle, connaît aussitôt sur qui reposait tout l’établissement des jansénistes. Et, de même, qui regarde sa petite-fille, admire la fleur délicate et si pâle qu’une forte race d’hommes ou d’esprits se destine à produire, par où du moins elle finit. La seconde Angélique fait avec M. Hamon un couple délicieux dont la grâce séduit le cœur. M. Hamon a le visage charmant et fin d’une jeune fille, ou d’un prince adolescent : blond, pâle, les lèvres les plus minces, l’air candide et tendre, le menton en aiguille, toute sa force est dans les yeux, comme celle de la Sœur Angélique. Encore n’est-ce point une âme robuste qui s’y fait jour ; mais le feu d’une âme mystique, éprise d’amour divin. Quelque forte soit-elle, elle ne l’est déjà plus assez pour la vie ; capable de soutenir toute lutte, elle ne l’est pas de vaincre, dans un secret désir d’épuiser la volupté d’être vaincue ; ou plutôt ce qu’elle a de force ne s’applique qu’à un plus noble parti : la chair le cède, ici, à l’esprit qu’elle emprisonne, et l’enveloppe est trop fragile pour ce qu’elle contient.