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Messieurs. Les enfans logeaient dans une aile basse, où se tenaient les classes et les catéchismes. Le verger, le potager, s’étendaient au delà, comme le témoignage du travail le plus agréable au ciel peut-être. La perfection de l’homme simple et paisible est, sans doute, celle du frère lai, qui passe des champs à la chapelle, de la bêche au psautier, et qui, pour son délassement, incline devant Dieu des épaules que, le reste du temps, le labeur courbe vers la terre.

Si ce n’est une tour rustique, à l’une des ailes, il ne reste rien de toute l’abbaye : une haine patiente, infatigable pour tout dire, a préparé cette ruine et l’a consommée. La charrue a passé sur le cloître. Les tombes des jansénistes ont été remuées par le soc. Louis XIV a fait voler en poussière une des forces morales, la plus solide peut-être et la plus compacte qu’il y eût en France. Ces hommes là vivaient avec leur cimetière sous les yeux, et l’avaient pour lieu de promenade. Il devait leur importer peu que leurs cendres fussent ou ne fussent pas en repos. On imagine même l’amer contentement de Pascal, s’il avait pu prévoir qu’on jetât ses os au vent. Sans parler de sa joie à souffrir persécution pour la vérité et la justice, il se fût réjoui ardemment de cet outrage à la chair ennemie ; et il y eût vu quelque faveur singulière qu’on eût faite à son âme.

Les Messieurs de Port-Royal n’étaient point des clercs. Les uns ne s’en jugeaient pas dignes ; les autres y répugnaient de nature, ou par état. Ils formaient une espèce de tiers ordre. Ils étaient à peine des laïcs, et ne voulaient point être des moines. Ils vivaient pour faire leur salut, et prétendaient le faire dans le siècle, ou s’y résignaient. Port-Royal était leur maison de retraite. Ils y venaient approcher Dieu de plus près. Ils y prêtaient une oreille plus attentive qu’ils n’auraient pu ailleurs, ni autrement. Ils y avaient leurs mille entretiens avec une puissance redoutée, et souhaitée de tous leurs vœux, comme seule à craindre sans doute, mais seule aussi secourable. En un temps où tout homme voulait, tôt ou tard, prendre quelque connaissance de soi, nulle part on n’alla plus avant dans l’art cruel de se connaître, que dans cette compagnie sévère. Or le scandale est grand, pour un monarque absolu, d’hommes qui se retirent en soi : car il n’en est pas, quelle qu’en soit la révolte, qui lui échappent plus ; et, en outre, ceux qui se connaissent sans complaisance sont, malgré tout, sans complaisance à connaître les autres. Les souverains