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VISITE À PASCAL


i. — à port-royal

Un jour que le tumulte de la calomnie et des invectives s’était répandu le plus insolemment dans Paris, et troublait le plus cette ville injurieuse, M. de Séipse, incapable de le subir plus longtemps, prit le parti de le fuir, et s’en fut à la campagne. M. de Séipse souffrait, en effet, du désordre comme d’une injure personnelle, que son temps lui eût faite, et que tout le peuple eût conspiré à lui faire. Une profonde colère, froide et secrète, le dévorait de sentir en lui-même la puissance de l’ordre, de s’en connaître la volonté, et de savoir qu’elle dût être sans effet. Le pouvoir d’un homme est la moyenne de ce qu’il peut lui-même, et de ce que les circonstances lui permettent, — l’accord de sa force propre avec la fatalité des événemens. C’est pourquoi tout homme puissant s’est toujours senti à deux doigts de ne pas l’être ; et il appelle son étoile ce bonheur de l’accident, qui ne suffit à rien, mais sans quoi la voie est fermée à tout le reste. Le hasard, qui fait naître un homme à son heure, fait plus pour lui qu’il ne fera jamais lui-même. À dix ans près, on est César ou on ne l’est pas. Pour un trait de plus ou de moins dans le visage, et le nez fait d’une forme qui plaise, on peut exercer ou non le droit de la puissance qu’on a. S’il ne le peut point, l’homme l’exerce alors contre lui-même. Et plus les faits désordonnés lui font obstacle, plus il souffre amèrement de sentir inutile en soi la force qui les ordonne. Agité de ces pensées, M. de Séipse résolut de les apaiser, sinon de s’en distraire, et il se proposa une promenade dans le vallon le plus austère et le plus retiré qui soit aux portes de Paris : il s’en fut à Port-Royal-des-Champs.

On était au temps de la Pentecôte. Le printemps tirait sur