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on a cru résoudre la difficulté en invoquant la discipline, en refusant sa démission au général Delanne et en lui intimant l'ordre de rester, comme un planton docile, là où il se trouve placé, on se trompe grossièrement. La déclaration du général reste, à savoir que l'état-major est désorganisé et qu'il n'entend plus en être responsable : dès lors, sa présence ou son absence à la tête d'un service qu'il désavoue n'a pas d'importance. Nous savons à quoi nous en tenir. L'armée, ayant cessé d'être défendue, a été frappée à la tête. Depuis longtemps, une bande tournait autour d'elle, cherchant à démolir les derniers remparts qui la protégeaient. Le but est atteint. L'effort le plus méritoire de la troisième république, depuis son origine, avait été de maintenir l'armée en dehors de la politique. Gambetta, qui, s'il n'a pas été un homme d'État complet, tirait du moins de vives lumières de son patriotisme, et qui, aimant l'armée avec passion, avait le sens de ce qui pouvait la conserver énergique et forte ; Gambetta, bravant toutes les colères des politiciens de son temps, avait choisi pour chef d'état-major le général de Miribel, justement suspect d'un médiocre républicanisme. L'intérêt militaire à ses yeux primait tout. C'est un sentiment que le gouvernement actuel a perdu. Les élèves de Gambetta oublient ses leçons. Ce n'est plus seulement la république qu'ils compromettent, mais l'armée et la France elles-mêmes. Si de pareils actes, après tant d'autres, ne provoquent pas un réveil indigné, nous ne savons plus ce qu'il faut pour tirer de sa torpeur un parlement devenu inutile, et qui aura bientôt de terribles comptes à rendre au pays. Ce n'est pas que la Chambre des députés n'ait pas conscience du danger. L'intelligence lui manque moins que le courage : elle n'en retrouve un peu que lorsqu'elle vote au scrutin secret. Les occasions de le faire sont malheureusement devenues rares, la Chambre précédente ayant, dans un accès de pudeur, pour cette fois déplacée, supprimé ce genre de scrutin, le seul où, dans l'état actuel des caractères, on vote avec quelque indépendance et quelque sincérité. Le scrutin secret a été aboli pour tous les votes qui se rapportent à une loi ou à une motion quelconque, et n'a été conservé que pour ceux qui s'appliquent aux personnes. De là ce phénomène remarquable, et qui jette un jour profond sur nos mœurs parlementaires, que chaque fois qu'il s'agit, par exemple, de voter un ordre du jour, la majorité accable le gouvernement de sa confiance ; mais que, chaque fois qu'il s'agit d'élire une commission importante, la même majorité nomme des adversaires déterminés du gouvernement et de ses projets. C'est la différence du scrutin public et du scrutin secret. L'épreuve vient de