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voix n’arrivent plus guère à se détacher. Ici du moins elles s’en détachent, et sur le fond le plus riche en même temps que le plus souple et le plus lisse, elles s’enlèvent toujours. Rien ne m’a plus séduit dans Haensel et Gretel que l’heureuse proportion entre la mélodie et la symphonie, entre l’idée elle-même et l’idée qui évolue, entre le principe de fixité pour ainsi dire et le principe de mouvement. Une cote mal taillée par tant d’autres m’a paru taillée ici de main de maître.

C’est en maître aussi que M. Humperdinck use des leitmotive. Il les combine quelquefois ; plus souvent il les développe et les transforme. Le premier thème du premier acte circule et se multiplie à travers l’acte entier. Le chant de triomphe entonné par les deux petits après l’enfournement de l’ogresse n’est que le thème, un peu modifié, de l’ogresse elle-même à cheval sur son balai. Elle chevauchait sur un rythme de polka ; c’est sur un rythme de valse qu’elle cuit. Ne dites pas que pour elle, — et même pour nous, — le détail a peu d’importance. Il en a beaucoup dans la musique de théâtre telle que Wagner nous l’a faite, et le meilleur des meilleures œuvres d’aujourd’hui ne tient parfois qu’à ce double pouvoir, dont nous venons de citer un ou deux exemples, de transformation et de développement.

Mais dans l’œuvre de M. Humperdinck, il y a mieux encore que cela : n y a la joie, la gaieté, la divine enfance du cœur. L’ingéniosité de la facture et la perfection du métier n’est dépassée ici que par la simplicité de l’élément premier, je veux dire de l’idée musicale. Pour l’invention ou l’esprit mélodique, M. Humperdinck ne doit rien à Wagner : car ce n’est rien que l’influence des Maîtres Chanteurs (méditation de Sachs) sur l’exquise prière en forme de choral ; rien, moins que rien, au premier acte, entre deux couplets, un grupetto de Tannhäuser. L’artiste de race, de sa race et de toute sa race, que la mélodie de M. Humperdinck nous révèle, ce n’est plus le fils de Wagner : une ou deux fois c’est un petit-fils de Schubert, et c’est constamment un arrière-petit-fils de Haydn et de Mozart, j’entends le Mozart de la Flûte enchantée, le Mozart allemand. Je croirais encore à d’autres affinités, plus modernes et plus modestes aussi, que ne désavouerait peut-être pas M. Humperdinck : avec Strauss, non pas celui des poèmes symphoniques d’aujourd’hui, mais celui ou ceux d’autrefois, ceux de la valse viennoise ; que dis-je 1 avec Offenbach lui-même, un Allemand qu’il ne faut pas mépriser tout entier, et dont Rossini se moquait seulement à demi quand il lui donnait son portrait avec cette dédicace : « Au Mozart des Champs-Elysées. » Pendant le premier acte, pendant la plus grande partie du dernier, écoutez au hasard ces innombrables mélodies.