Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le « genre enjoué » n’est pas le fait de nos jeunes musiciens et de celui-là moins que de tout autre. Une atmosphère de neige et de nuit, d’hiver et de mort imprègne tout le premier acte, le meilleur, du Juif Polonais. Nous parlions plus haut de la saison et de l’heure. L’une est rappelée à tout instant par quelques notes qui tremblent, qui sifflent et qui pleurent. L’autre est annoncée par le veilleur nocturne avec une angoisse, une détresse même dont je connais peu d’exemples. Quelle est donc la magie, le charme douloureux de cette mélopée simple, et si brève, pour qu’elle efface, emporte le reste, et que le souvenir d’une œuvre qui dure tout un soir tienne à jamais pour nous dans un seul moment de beauté ? Il est vraiment admirable, cet appel. Très lent, comme baigné dans un brouillard sonore, il se traîne sur deux accords qui se répondent. Le rapport harmonique est à peu près le même entre l’un et l’autre qu’entre les deux accords du cygne dans Lohengrin. A peu près, mais à beaucoup près aussi. La différence n’est que d’un demi-ton, et c’est assez pour transformer, presque pour renverser tout l’ordre du sentiment et de l’expression, pour changer le mystère en épouvante et la mélancolie en désespoir. Oh ! l’étrange couvre-feu, qui n’a pas son pareil. Calme comme une invite au sommeil, et sombre comme un présage de mort, salut douloureux et compatissant aux souffrances qui ne s’endorment jamais, ce chant dit les bienfaits et les maléfices des ténèbres ; il ressemble à quelqu’une de ces profondes paroles où la poésie antique enferme toute la douceur et toute la tristesse de la nuit.

Cette seule page honorerait un musicien, et dans l’œuvre de M. Erlanger nous avons vu qu’elle n’est pas seule. Si peut-être le Juif Polonais vaut par les détails surtout, par l’accessoire et l’extérieur ; si dans la musique il n’y a pas un drame, — je veux dire un drame intérieur, — et moins encore une analyse de sentimens et de caractères, c’est que le poème n’offrait rien de tout cela. Beaucoup plus court que Saint Julien l’Hospitalier, beaucoup moins ennuyeux que Kermaria, le Juif Polonais est la meilleure des trois grandes partitions de M. Erlanger.


Joseph, qui n’est pas un mélodrame, est encore une histoire de juifs. L’an dernier, l’Opéra-Comique et l’Opéra l’avaient repris ensemble. On peut même dire que l’Opéra l’avait reprisé, faisant coudre au vieux chef-d’œuvre des récitatifs nouveaux. Reprise perdue ! et c’est justice. Joseph a disparu de l’Opéra. Ne ranimons donc pas une querelle déjà vieille et maintenant sans objet. L’Opéra-Comique du moins a gardé Joseph, le Joseph authentique, du seul Méhui pour la musique et