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de l’analyse ; il avait plus d’invention, si M. Prévost semblait mieux doué pour l’observation : il était plus respectueux de la morale traditionnelle, si M. Prévost était d’allures plus libres, de tournure d’esprit plus moderne. Les années passent. L’auteur n’a pas cessé de produire ; même sa production est devenue plus abondante, plus régulière ; seulement, par un phénomène curieux à observer, elle s’est faite de plus en plus impersonnelle, elle s’est à mesure dépouillée de toute marque caractéristique, et, pour tout dire, elle est peu à peu sortie de la littérature.

En sortira-t-elle tout à fait ? ou y rentrera-t-elle quelque jour ? Cela dépend de M. Prévost. Il n’est pas nécessaire qu’un roman soit « de la littérature, » et même tels nous en ont donnés qui n’en étaient que trop. Nous ne parlons pas d’eux aujourd’hui ! Ce n’est pas de leur côté que penche M. Prévost, ni qu’il tombera. Nous craignons qu’il ne prenne son parti de fournir des romans de facture et de consommation à tant d’honnêtes gens qui n’exigent du romancier que d’occuper agréablement leurs loisirs. Les personnes sont peu nombreuses qui en lisant un livre y cherchent des jouissances d’art : elles forment une petite élite, qui dans le vaste ensemble social a bien peu d’importance. Mais si M. Prévost, comme nous l’avons cru, comme nous le croyons toujours, a quelquefois souhaité d’obtenir leur suffrage, elles ne le donneront sans doute ni à Frédérique ni à Léa ; et M. Prévost n’a que tout juste le temps de les ramener à lui. Un peu plus d’application en serait le moyen ; un peu plus d’attention sur soi-même ; un peu moins d’empressement à prendre la facilité pour de l’inspiration et des banalités scientifiques pour de l’observation. C’est ce que nous souhaitons à M. Marcel Prévost, et nous nous flattons encore de l’espérance qu’il n’a pour le pouvoir qu’à le vouloir.


RENE DOUMIC.