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à capter une source d’études au moment où elle entre dans le roman. Et tout ce qu’il en tire, ce sont autant de vieilleries, de banales histoires d’adultère, d’assassinat, de phtisie, c’est un peuple de figurans toujours les mêmes et dont on retrouve dans toutes les exhibitions la mine indifférente et lasse. Il fait manœuvrer une quarantaine de personnages ; et dans le nombre il n’en est pas un que nous reconnaîtrions, si nous le rencontrions dans la rue. Jamais dans leur regard nous ne saisissons cette flamme qu’y allume la vie. Jamais dans l’analyse des sentimens une de ces petites trouvailles qui font réfléchir ou qui amusent. Jamais dans l’expression des idées une formule heureuse, ingénieuse, neuve. Jamais rien qui sorte de l’ordinaire, rien qui s’élève au-dessus du commun. Ensemble et détails sont noyés dans une même teinte de médiocrité grisâtre, recouverts d’une impitoyable couche de banalité. Si encore on trouvait pour s’y raccrocher quelque saillie, une erreur, une maladresse, une faute, quoi que ce fût, mais qui du moins eût le mérite d’exister ! Si on trouvait quelque chose d’irritant contre quoi on eût du moins la ressource de se fâcher. Mais non pas même ! Cela coule. Cela échappe. Cela fuit. On étend les mains : on a l’impression décevante de les avoir refermées sur des ombres. Ni par les idées, ni par les faits, ni par les descriptions qui sont quelconques, ni par les scènes qui sont sans mouvement, ni par les conversations qui sont sans imprévu, ni par l’analyse des sentimens, ni par le style, ces romans n’ont quelque valeur appréciable. On se demande alors : pourquoi est-ce que l’auteur a écrit toutes ces pages ? On reste confondu.

Car les débuts de M. Prévost ne faisaient pas prévoir qu’il dût arriver où nous le voyons aujourd’hui. Ses premiers livres avaient plu. Ni le Scorpion, ni la Confession d’un amant n’étaient des ouvrages négligeables. Ils ne témoignaient pas de beaucoup d’originalité : ce n’est jamais par l’originalité que M. Prévost s’est recommandé. Mais la facilité, l’adresse, la limpidité du style, la clarté de l’intelligence, les ressources d’un esprit avisé, ce sont encore des qualités très appréciables. Nous nous empressions à les reconnaître : nous nous plaisions à espérer qu’avec tout le talent qu’il semblait avoir, M. Prévost serait de force à justifier quelque jour une renommée un peu hâtive. Mais il n’est pas très rare que des auteurs qui ont une grande faculté d’assimilation et ce charme qui est celui de la jeunesse, obtiennent d’abord ce genre de succès. Lui aussi, M. Georges Ohnet l’avait connu, lors de ses débuts tout pleins de promesses. Peut-être M. Ohnet avait-il plus de rigueur, si M. Prévost avait plus de souplesse : il avait davantage le sens dramatique, si M. Prévost avait davantage le goût