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oubliée de nous lorsque notre corps est plein de santé, affirmait sa réalité tragique... L’illumination de l’esprit coïncida avec réchauffement du cœur... L’essence même de l’œuvre entreprise par Pirnitz était inassimilable à l’esprit contemporain d’un faubourg de Paris... » Des réflexions éclatent : « On est craintif pour ce qu’on aime. » Parfois le tour interrogatif dénote l’angoisse de la pensée : « Qui dira jamais ?... Mais quel regard perspicace accoutumé au diagnostic des âmes ?... Quel mystère, inexprimable par des mots, cette ressemblance de deux êtres qui diffèrent par la taille, la figure, la nuance des cheveux et le pigment des prunelles, et dont cependant le passant le plus distrait dit avec assurance : ce sont des sœurs ! » La distinction de ce style n’empêche pas qu’il ne soit souvent déclamatoire. « Chaque fois qu’une telle chute s’accomplit dans une de ces grandes villes redoutables, Paris, Londres ou Berlin, il semble qu’un globule noir doit s’ajouter au nuage de soufre qui les menace. » Ce sont par momens des envolées de lyrisme. Après s’être longtemps refusée à Georg, Léa se donne enfin à lui. Ils s’appartiennent après s’être longtemps désirés. « Cette ère de solitude hostile prédite par le poète, les deux sexes à l’écart l’un de l’autre, se jetant un regard irrité, ils l’avaient traversée comme un désert. Puis, un jour, brisant les entraves, la Femme avait rejoint l’Homme, l’Épouse était montée vers l’Époux par un calvaire. Et, quand elle était tombée dans ses bras, elle était toute meurtrie, toute saignante des aspérités de la route... » Que de choses dans un baiser ! Ces élans de style sont rares. Ce qui est habituel ici ce sont les phrases toutes faites, les locations décolorées, les expressions usées et frustes comme l’effigie d’une pièce de monnaie qui a passé par toutes les mains. « Léa, bercée par la vitesse, s’abandonnait à une griserie délicieuse... Frédérique et Léa jetèrent sur les lieux environnans cet avide regard de la jeunesse qui boit les objets... Je voudrais imprégner ce papier de la fièvre qui me dévore... » Ne croyez pas au moins que je choisisse ces exemples et que je me livre à cette besogne facile et peu concluante qui consiste à extraire d’un millier de pages quelques perles ! C’est de perles que ce style manque le plus. Rien ne s’y détache sur la trame uniforme. Rien de personnel et de volontaire dans cette phrase amorphe. La phrase d’un écrivain a son accent, son rythme, son dessin. On aurait bien de la peine à indiquer quel est le dessin de la phrase de M. Prévost. La nature de ce style trahit justement tous les défauts qu’on est bien obligé de reprocher à M. Prévost.

Quoi ! Voici un auteur qui choisit un sujet encore neuf. Il s’essaie