Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voulez-vous des types de chez nous ? Le professeur libre, coureur de cachets, sera un pauvre être sans défense, doux, vertueux, timide, effacé, absent de la vie : le banquier sera brillant, fastueux, insolent. Le magistrat sera cauteleux et prudent, la petite bourgeoise aura des goûts de grisette. L’usinier sera grand, large d’épaules, de carrure solide, de tempérament sanguin, avec une moustache très noire et des cheveux en brosse. Hardi dans ses entreprises, laborieux et ponctuel, il sera d’une probité professionnelle inattaquable. De complexion amoureuse avec des instincts de jouisseur, il traitera l’amour comme une affaire commerciale. Chacun de ces bonshommes, dessiné d’un trait sommaire, nous apparaît affublé d’une désignation qui ne varie pas, d’une épithète toujours la même, d’un attribut qui lui sert d’enseigne. Pirnitz a ses « yeux magnétiques, » Frédérique sa « beauté grave, » Léa son « visage romanesque, » Georg son air de « guerrier du paradis d’Odin frappé d’une blessure secrète, » Daisy Craggs a une « figure de bébé couperosé, » car elle est Irlandaise ; Duyvecke Hespel est grasse, blonde, avec des chairs blanches et des yeux placides, car elle est Flamande ; Mlle Heurteau a « quelque chose d’un peu fuyant dans le regard, d’un peu faux dans la voix, » car elle est le traître. Ainsi chez ces personnages jamais un trait, un geste, une expression ne révèle le mouvement parti de l’intérieur. Jamais rien de cette complexité et de ces surprises qui déconcertent et réjouissent l’observateur parce qu’elles sont le signe de la vie. Toujours ce qui est convenu, ce qui est attendu, ce qui est prévu, ce qui ne rate pas.

Surtout, ce qu’on ne peut passer à M. Prévost, c’est son style. Ce n’est pas que M. Prévost écrive mal. De très grands écrivains écrivaient mal, et on lui souhaiterait de mal écrire. Ce n’est pas non plus qu’il écrive bien. Sa prose est émaillée de demi-incorrections. « Les versets de tante Edith étaient pour elle une inexprimable gaieté… Il était plus beau, mais plus pareil à la beauté des autres hommes… Son tempérament paisible se résignait au célibat comme Pirnitz… Ce lui fut amer et pourtant fouetta son orgueil., etc. » Toutes incorrections qui passeraient difficilement pour des hardiesses. Ailleurs on rencontrera des êtres qui ont « subi la faiblesse de la moyenne humaine, « une fille qui « rappelle le caractère léger de sa mère avec quelque chose en plus, » une autre qui n’est pas « portée vers l’église, » comme on dit dans un certain monde qu’on est « porté sur sa bouche. » L’habitude du journalisme a acclimaté dans notre langue française, jadis si alerte, si vive, si précise, des façons de parler lourdes et épaisses, tout empâtées d’un jargon abstrait : « L’affreuse successivité de la vie humaine,