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Mais, quoique sincèrement pieux, et si l’on veut piétiste, M. de Bismarck n’aime pas les exagérations du rigorisme protestant. « Je me souviens, raconte-t-il, d’avoir, en arrivant en Angleterre, sifflé dans les rues de Hull. Un Anglais, dont j’avais fait la connaissance à bord, me dit qu’il ne fallait pas siffler et ajouta textuellement : Pray, sir, do not whistle. Je lui dis : « Pourquoi ? Serait-ce défendu ? » — « Non, mais c’est dimanche aujourd’hui. » Cela fit sur moi une impression si désagréable que je pris tout de suite un billet pour Edimbourg, car il ne me plaisait pas de ne pouvoir siffler quand l’envie m’en prenait[1]. » Il a d’ailleurs soin d’ajouter qu’il « n’est pas du tout contre l’observation du dimanche. » Mais point de contrainte. Aussi bien il y a des cas et des métiers, deux métiers au moins, pour qui cette stricte observation n’est pas toujours possible, et il se trouve que ce sont les deux métiers de M. de Bismarck, la diplomatie et l’agriculture. Il faut un peu de tolérance, c’est lui qui le dit, et qui ne se contente pas de le dire, qui « le proclame énergiquement. » Mais une tolérance vraie et sage ne peut sortir du choc de deux intolérances ; et pourtant nous en sommes là : intolérance sectaire contre intolérance bigote : « Les gens qui se prétendent éclairés ne sont pas plus tolérans ; ils persécutent les fidèles, non pas en les menaçant du bûcher, — ce n’est plus la mode, — mais en répandant dans le peuple le sarcasme et la calomnie, de sorte que les libres-penseurs font tout à fait comme faisaient les orthodoxes d’autrefois. On ne saurait s’imaginer quel plaisir on causerait en pendant le docteur Knak ! Au reste, le protestantisme, autrefois, n’était guère tolérant non plus. » Bucher remarque, d’après Buckle, « que les Huguenots avaient été des réactionnaires zélés, ainsi que tous les protestans de l’époque. Chaque pasteur était un petit pape. — Pas précisément des réactionnaires, répondit le Chef, mais de petits tyrans. — Il cita la conduite de Calvin envers Servet. Et Luther était comme Calvin[2]. » Oui, Luther lui-même : tous, de petits tyrans ; ce qui signifie pour Bismarck des tyrans en petit, en de petites choses : et non point sur le salut, mais sur la manière d’assurer son salut et tel ou tel détail de telle ou toile manière.

Car, le salut éternel, grande affaire : affaire personnelle pourtant à chaque homme : la tyrannie ici serait criante : elle ne se

  1. Maurice Busch, Le comte de Bismarck et sa suite, p. 165. vendredi 7 octobre.
  2. Ibid., p. 164-165.