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Van Dyck, tout comme son maître, est un descendant direct du peintre de l’Adoration. Aucun disciple de Rubens ne fut plus que lui épris des subtilités de la technique, aucun n’a plus habilement manié la matière colorée. — Imaginez que Jean Van Eyck se soit promené dans l’exposition organisée récemment en l’honneur du grand portraitiste anversois. Il n’eût peut-être éprouvé qu’une admiration médiocre pour les tableaux religieux, mais il se serait arrêté devant presque tous les portraits, surpris tout d’abord par l’espèce de laisser aller de cette peinture, puis lentement envahi par le charme exquis des nuances lumineuses. Devant le gracieux et troublant Lord Warthon, le jeune homme à la houlette, la perle de l’exposition, il eût songé au jeune homme élancé, richement vêtu, couvert de l’armure de Saint-Georges qu’il plaça dans un de ses divins chefs-d’œuvre[1], et sans doute il se serait tenu ce langage :

« Je promenais lentement mon pinceau pour peindre les chairs ; je dessinais avec minutie une cuirasse superbe dans laquelle je faisais briller les damasquinures ; je donnais à mon saint Georges un air rude et candide à la fois ; puis dans les fonds, dans les ombres, dans les lumières, je faisais ruisseler l’or, croyant bien qu’en cela aucun peintre au monde ne pourrait m’imiter. Ici la chair est peinte d’une brosse alerte ; une couche légère suffit pour la tunique de satin ; ce jeune lord Warthon n’est ni rude ni candide ; mais je retrouve mon or partout, dans les chairs, dans étoffes, dans ce beau paysage, dans cette main aristocratique dont la pose molle m’enchante. »

Et si par miracle Van Dyck se fût trouvé à ses côtés, le vieux maître aurait pressé avec la tendresse et l’orgueil d’un père la main de ce cadet qui gaspilla peut-être un peu son temps et son génie, mais qui reste, quoi qu’on en ait dit, digne en tous points d’occuper dans notre admiration la place que la renommée lui a accordée au milieu de ses ancêtres glorieux et de ses illustres contemporains.

Ces Maîtres d’autrefois, ainsi que les appela Fromentin, je me les représente comme une famille unie, inséparable, travaillant sur un sol commun, avec un idéal commun, dans des ateliers où se perpétuent les secrets techniques et les belles habitudes morales des ancêtres. Arrivés à l’âge adulte, presque tous les mem-

  1. Musée de Bruges.