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reste tout intérieure, retenue par les attitudes immuables des personnages, agenouillée, si je puis dire devant la foi, et d’autant plus forte, plus expansive, qu’on la sent dirigée par une religiosité puissante.

II

S’il importe, même pour reconstituer l’être moral d’un artiste, d’étudier profondément la facture de son œuvre, s’ensuit-il que la doctrine de Taine, consistant à analyser l’ambiance historique et ethnographique où se développe l’artiste, ne contienne aucune part de vérité ? Certes non. Et si l’on nous permet à ce propos une digression qui ne nous éloignera guère de notre sujet, nous dirons comment la belle création philosophique de Taine pourrait trouver une excellente application dans l’étude psychologique des villes, des centres urbains où fleurissent les grandes écoles d’art. Toute cité est un organisme comparable à l’être humain. Considérée de la sorte, les grandes communes belges : Ypres, Bruges, Gand, Anvers, offriraient de passionnans sujets d’observation aux historiens, aux archéologues, aux artistes. Bruges serait l’exemple le plus frappant que pourrait fournir la Flandre. Personne vivante et intéressée, mêlée aux grandes luttes du monde, la célèbre commune s’embellit par l’énergie inconsciente, l’orgueil de sa population. À chaque âge de cet être tendu vers l’existence correspond une phase de beauté et d’art déterminée presque toujours par une nécessité purement pratique. Encore adulte, la cité dépense d’une manière magnifique ses forces et son activité. C’est l’époque des passions fougueuses, des combats ardens, des grandes conquêtes communales ; c’est le moment où la création esthétique se manifeste sous sa forme la plus ample, la plus utilitaire : l’architecture. On construit avec ardeur le beffroi, les halles, les églises. Ainsi la cité se glorifie par les monumens qu’elle élève à ses ambitions, comme à ses croyances les plus nobles, les plus élevées.

Après ce superbe élan se produit une détente inévitable ; l’activité s’apaise, se transforme. On délaisse les vastes conceptions architecturales. On achève les monumens, on les complète par une ornementation extérieure et intérieure. La sculpture est ou plein épanouissement, la peinture s’éveille. Enfin au XVe siècle, au moment où les premiers chefs-d’œuvre de Jean Van Eyck se