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partie sous la mouvance française, était imprégné, envahi par l’art, l’esprit, la politique, la littérature de sa grande suzeraine.

Nous ne devons donc point nous étonner de voir les enlumineurs flamands emprunter les premiers élémens de leur art à ces miniaturistes parisiens auxquels Dante, dans son Purgatoire, rend un hommage célèbre. Dès le XIIIe siècle en effet, les manuscrits français portent la marque d’un art singulièrement avancé. Les costumes y sont souvent exquis, certaines scènes de la vie familière dégagent un parfum délicieux de naïveté et de grâce. Les enlumineurs brugeois héritent de ces qualités au XIVe siècle, tout en inclinant vers ce réalisme vigoureux qui restera le trait distinctif de l’art flamand. Ils multiplient les tableaux de l’existence quotidienne et créent la peinture de genre. Ils manifestent avec éclat leur goût pour les couleurs opulentes, les substances rares, les matières uniques. Dans un Psautier de Louis de Mâle, qui pourrait être l’œuvre de son peintre Jean de Hasselt, les fleurs de lis en or brillant, les ornemens héraldiques, les belles lettres de teintes diverses, composent un fond remarquablement varié et sonore pour les quelques figures peintes sur le manuscrit. Les vêtemens sont également très luxueux ; l’hermine des princes, les broderies des manteaux prouvent que la cour des comtes de Flandre n’a pas attendu l’arrivée des ducs de Bourgogne pour donner le spectacle d’une opulence éblouissante.

Ces miniatures sont donc les manifestations d’un art déjà riche, animé, humain, qui se perfectionnera encore au XVe siècle, celui des Van Eyck, et qui gardera toujours, même chez les enlumineurs brugeois les plus originaux, les marques de son origine française : délicatesse extrême du métier, élégance captivante du dessin.

Van Eyck est tout imprégné de cet art. Ce n’est pas trop s’avancer que de comparer son pinceau à celui d’un miniaturiste. Dans cette imposante et fine Chronique de Haynaut que la Bibliothèque de Bourgogne considère comme l’un des joyaux les plus rares de sa collection, j’ai remarqué que les ombres sont presque toujours indiquées, non pas par la touche d’un pinceau étalé, mais par des traits minces et rapprochés, quelque chose comme des hachures dessinées par un pinceau très pointu, très peu chargé. Cette facture, je l’ai observée, — servant parfois aussi à accentuer les reliefs, à souligner les lumières, — chez Van Eyck ; chez tous les gothiques brugeois : Memling, Roger Van der Wey-