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I

Tous ceux qui ont tenté de remonter au début de l’art flamand ont tout de suite été frappés de voir à quel point la peinture se confond primitivement avec les grandes industries artistiques. Au XIVe siècle, le peintre est un artisan dans toute l’acception du mot ; il pratique un métier manuel, et s’il réussit à le perfectionner c’est par l’exercice parallèle d’autres professions étroitement apparentées à la sienne. Les peintres de madones et d’anges, de statues, de bannières, de pennons, de harnais ; les imagiers ; les vitriers, les orfèvres, les batteurs d’or, les enlumineurs, les miniaturistes, les tapissiers, tous ceux enfin de qui les anciens Brugeois, Gantois ou Anversois exigeaient le goût de la forme et de la couleur, se rencontrent, sont fraternellement mêlés dans la puissante corporation placée dès les temps les plus reculés sous le patronat de saint Luc, le peintre légendaire de la Vierge. L’artisan habile dans sa spécialité est toujours un artiste ; l’artiste est toujours un homme de métier, — ou mieux de plusieurs métiers. Cet état de choses règne encore au XVe siècle et se manifeste avec évidence dans la carrière des frères Hubert et Jean Van Eyck. Jean, le plus jeune des deux maîtres, fut un technicien méticuleux, amoureux de procédés multiples et réussissant par une découverte purement matérielle à révolutionner la peinture de son temps, à créer pour la peinture des temps modernes un instrument indispensable, un moyen d’expression qu’elle ne devait plus jamais abandonner. Non seulement il traduisit, dans l’Adoration de l’Agneau, son célèbre polyptyque de Gand, la vie céleste, les conceptions évangéliques, l’énergie mystique, la richesse flamande, le symbolisme religieux et humain, tels qu’ils s’offriraient à son esprit ; non seulement il dota la peinture d’un chef-d’œuvre que l’on peut placer entre la Divine Comédie, cette suprême expression littéraire du moyen âge catholique et la Passion selon saint Mathieu de Bach, cette merveilleuse transcription musicale de la ferveur chrétienne ; mais il consentit aussi à d’humbles besognes de praticien que les jeunes conçurrens au prix de Rome considéreraient certainement comme inférieures et indignes de leurs talent. Il peignit des vitraux ; il fut chargé par Philippe le Bon de paver des enlumineurs, ce qui prouve qu’il voulut bien diriger leurs travaux ; enfin, fait particulièrement curieux et peu