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livre reste un miracle de divination claire et profonde. Et voyez pourtant les inconséquences de la critique moderne ! La méthode de Fromentin, universellement admirée, n’a été suivie que d’un petit nombre de disciples, et on a bien pu la recommander comme étant la seule base des travaux critiques de l’avenir, mais combien de gens l’ont vraiment pratiquée ? Fromentin, on le sait, au lieu de s’attarder à des considérations historiques, morales, ethniques, se plaçait devant un chef-d’œuvre, l’interrogeait avec son œil et son sentiment de peintre, y cherchait les qualités de coloris, écoutait, si je puis dire, les harmonies colorées, en un mot, s’occupait avant tout de la technique du tableau, à travers laquelle il réussissait à surprendre l’existence entière de l’artiste. Taine, en somme, restait le continuateur de Platon et de tous les esthéticiens de l’antiquité. Il parlait d’un point de vue général, purement théorique, — l’étude du milieu, — et ne considérait la plupart du temps l’œuvre d’art que comme la preuve accessoire de sa thèse. Fromentin, au contraire, regardait l’œuvre comme l’assise même de son jugement ! Pour la première fois on s’avisait de rendre la critique d’art concrète, vivante, spéciale surtout ou spécifique. Les Maîtres d’autrefois peuvent être considérés à ce titre comme une révélation.

Fromentin s’intéressa surtout au XVIIe siècle, le siècle de Rubens. Son livre réclame par conséquent un supplément d’informations considérable. Tout en se servant des précieuses découvertes des archéologues et des archivistes belges, il conviendrait donc de refaire l’histoire de l’art flamand en s’appuyant constamment sur l’étude matérielle des œuvres, en analysant les procédés au moyen desquels le peintre a pu extérioriser ses visions, ses sensations et ses rêves. Pour montrer l’utilité d’une telle revision, nous allons parcourir les grandes époques de la peinture dans les Flandres et le pays brabançon, en essayant de surprendre les variations techniques qui ont pu déterminer la naissance et la fin des différentes périodes. Nous sommes tenu, pour cela, de nous aventurer dans un domaine difficile, presque inexploré, où l’on ne rencontre que des guides très rares et peu prodigues de renseignemens. Les observations qui composent en quelque sorte la trame de notre étude sont donc en grande partie personnelles. Elles aideront, nous l’espérons, à faire justice des préjugés dont nous parlions plus haut.