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dont tous les membres se connaissent et dans laquelle, en dépit de toutes les causes de désagrégation, règne un certain esprit de solidarité et d’appui mutuel. Il y a là de quoi soulager bien des maux, adoucir bien des peines, et fortifier bien des courages.

Nous venons de dire ce que laissent derrière eux les déserteurs des campagnes, mais que trouvent-ils dans les villes ? Pourquoi ne pas en convenir franchement ? Beaucoup s’y tirent fort bien d’affaire et se créent une situation enviable. Est-ce que le sang des citadins se serait un peu anémié, tandis que celui des campagnards, plus oxygéné, aurait conservé une vigueur particulière ? Ce qui semble, en tout cas, indiscutable, c’est que la majorité de la jeunesse rurale a été élevée dans des habitudes de simplicité, de frugalité et de travail, grâce auxquelles ceux de ses membres qui vont se fixer dans les centres urbains ou industriels y surmontent mieux que d’autres les obstacles et y fournissent une activité considérable. On voudra bien remarquer aussi ce fait qu’au départ des campagnes a toujours présidé plus ou moins une certaine sélection. Autrefois, pour aller tenter la fortune dans les villes, il fallait une certaine dose de caractère et de résolution. Il n’en va plus tout à fait ainsi aujourd’hui, et pourtant il est notoire que, même à l’heure où nous sommes, ce sont surtout les natures ardentes, ambitieuses, capables de quelque effort pour la lutte, qui quittent les champs.

Quoi qu’il en soit de toutes ces questions, il est acquis que depuis des siècles on a pu compter de fort belles carrières fournies par les nouveaux arrivés de la campagne et belles, non seulement par le succès, bien-être ou richesse, gloire, influence, mais encore par les capacités déployées et les services rendus à la communauté. Cependant il n’est pas donné à tous de réussir, et bien des gens qui ont changé de théâtre d’activité auraient fait un meilleur calcul en restant au village, car les agglomérations urbaines ont aussi leurs périls, quand ce n’est pas leurs horreurs.

C’est d’abord l’existence si précaire de teint de salariés. On peut dire que toutes les professions modernes sont plus ou moins encombrées. On le voit bien lorsque, à la plus modeste annonce de poste vacant, il accourt un nombre invraisemblable de postulans. On le voit encore aux longues colonnes de gens proposés par les bureaux de placement ou par les journaux pour toute