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la race n’est pas absolument éteinte, elle a nourri des sobres et des vaillans qui, par leur esprit d’ordre, de travail, et d’économie, ont fait la force des sociétés. Elle a fait fleurir à travers les siècles des vertus simples mais robustes, et formé des individualités de premier ordre, auxquelles il n’a manqué, pour être plus admirées, que d’être mieux connues, bien que quelques-unes, les Lincoln, les Garfield, par exemple, ces fils de colons américains, aient fait pourtant quelque bruit. Que de vieilles et vénérables demeures qui auraient une longue histoire de sacrifice et d’héroïsme domestiques à raconter, et dont on ne peut franchir le seuil sans entendre, comme montant des profondeurs des siècles, une voix qui parle d’endurance, de devoir et d’honnêteté ! Le temps les a usées, il a déposé sa sombre patine sur leurs murailles ; mais elles restent debout, au milieu de l’instabilité des choses, comme un îlot au milieu des eaux coulantes et fuyantes. C’est là qu’à certaines heures se reconstitue le quartier général des bienfaisantes relations de famille et des amitiés de jeunesse restées entières. A peu d’exceptions près, la campagne a toujours donné à manger, et souvent un peu plus que cela, à ses habitans, en échange, il est vrai, de beaucoup de peine ; mais le labeur qu’elle plaçait devant eux était certes le plus noble sous lequel puisse se courber une créature libre et morale. Au grand air, sous la voûte transparente du ciel, dans le tête-à-tête avec la nature, au milieu de tout un ensemble de conditions éminemment favorables à la santé du corps et à celle de l’esprit, le laboureur venait demander à la terre ce qu’il lui fallait pour vivre tout en nourrissant les autres hommes.

Si l’existence humaine n’est exempte de difficultés pour personne, il semble néanmoins que quelques-unes des plus dures aient été épargnées aux habitans des champs. Ils ne connaissent pas, comme les citadins, la torture du travail qui manque. Et ne semble-t-il pas qu’ils aient gardé, plus que les citadins, le caractère d’une grande famille ? Assurément, nous n’ignorons pas, en parlant ainsi, à quel point les inimitiés et les haines, les oppositions d’intérêt et les mesquines jalousies peuvent désunir les habitans du village, des voisins vivant porte à porte. Il faut définitivement renoncer à l’idylle qui faisait de la campagne le refuge des vertus primitives auxquelles la civilisation aurait servi de repoussoir. Mais c’est pourtant une circonstance heureuse que le fait de n’être pas seul, de faire partie d’une petite communauté