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centre de l’Europe, au moment de la culture de la vigne, au printemps, puis de l’enlèvement des récoltes principales, fenaison, moisson et vendange, les journaliers des champs sont peu demandés. L’introduction de la machine dans les campagnes a créé une concurrence sérieuse à la main-d’œuvre rurale de jadis ; M. Levasseur a calculé qu’en France, dans les vingt années de 1862 à 1882, le chiffre des ouvriers et domestiques de ferme est tombé de 13 pour 100.

Cependant, pour légitime qu’elle soit, cette hausse des salaires agricoles ne pouvait manquer d’aggraver la crise des campagnes. Tout se tient dans les questions économiques. Des frais généraux un peu lourds peuvent se supporter si le rendement de l’industrie est en proportion, ou s’ils présentent un caractère passager. Or, il s’est trouvé qu’au moment même où les salaires ruraux montaient, le prix des denrées fléchissait sur presque toute la ligne, autre phénomène qui devra nous arrêter. Et quant à la durée de ce renchérissement de la main-d’œuvre dont nous sommes témoins, tout fait supposer que nous ne sommes pas en présence d’une de ces fluctuations comme celles dont parle M. le vicomte d’Avenel dans Paysans et Ouvriers, mais d’une ascension lente, graduelle et sans retour.

Sixième et dernier facteur : la mévente des denrées.

Le temps n’est plus où chaque province nourrissait ses habitans et, réglant plus ou moins la production sur les besoins locaux, pouvait être assurée d’écouler sans peine ses produits à un prix convenable. C’en est fait des barrières légales enfermant chaque région chez elle, et de l’isolement économique, qui résultait de la rareté des moyens de transport. Le marché local, distinct des autres marchés, a presque disparu : nous nous rapprochons d’un marché unique sur lequel la concurrence provenant de tous les points de l’horizon provoque une forte tendance à la baisse. Le fait saillant et singulièrement grave aussi à noter sous ce rapport, c’est l’avilissement du prix des céréales. Bien des gens parmi nous, sans être parvenus encore à un âge avancé, se souviennent du temps où le blé se traitait à des cours deux fois plus élevés qu’aujourd’hui. C’est une véritable révolution qui s’est accomplie. Elle est en partie le fait, dans les pays anciens, d’une culture plus intensive, témoin la France, qui, de 1852 à 1862, avec l’Alsace-Lorraine, produisait 88 millions d’hectolitres et qui, dans la décade de 1882 à 1892, diminuée de territoire,