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territoires les plus dépouillés d’avantages naturels, si ce n’est aussi d’ouvrir des carrières par milliers et centaines de milliers, et des carrières accessibles, non seulement aux ouvriers qualifiés, mais encore à quiconque, à défaut de savoir technique, est doté d’un corps valide ? Il est vrai que les entreprises nouvelles en tuent d’anciennes, que le tramway, par exemple, achève de détrôner le fiacre déjà refoulé par la création des chemins de fer ; mais une innovation heureuse finit toujours par amener une plus forte demande de bras, et le progrès se diversifie à l’infini. Il advient de la sorte que, si les agriculteurs sont mécontens de leur sort, ils n’ont guère que l’embarras du choix pour essayer d’un autre gagne-pain.

Toutefois le machinisme moderne devait en outre les affecter, de leur côté, dans les travaux qui les occupent. Bien que la vapeur et l’électricité tiennent moins de place dans l’économie rurale que dans les autres branches de la production, l’agriculture n’est pas restée absolument en dehors des progrès mécaniques. Elle a aussi ses procédés rapides, qui permettent une économie de bras d’autant plus avidement acceptée que la main-d’œuvre rurale est aujourd’hui fort coûteuse, ruineuse même. Le développement de l’outillage agricole a donc eu, de son côté, cet effet, de relâcher les liens qui unissent le travailleur à la terre, et de le porter à divorcer avec elle.

Une cinquième circonstance propre à expliquer la rupture d’équilibre entre les champs et la ville, c’est ce renchérissement des salaires agricoles auquel nous venons de faire allusion.

En soi, ce phénomène de hausse des salaires agricoles n’a rien que de fort normal et on peut même s’en féliciter. Il fait partie d’un mouvement plus ample qui tend à l’amélioration de la condition des travailleurs dans leur ensemble. La monnaie a perdu de sa puissance d’achat depuis que l’or et l’argent, extraits par des procédés perfectionnés et dans des mines de plus en plus nombreuses, ont afflué sur le marché des valeurs. Les syndicats ouvriers, en joignant leur action à l’essor qui résultait déjà naturellement de ce que l’on pourrait appeler la force des choses, ont contribué aussi, de leur côté, d’une manière sensible, à introduire des tarifs plus rémunérateurs. Une statistique comparée du mouvement des salaires agricoles et non agricoles dans les différens pays présenterait un véritable intérêt, mais il faudrait en soumettre les données à différentes opérations pour faire tenir