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L’admiration du « petit Busch » était pourtant très désintéressée, et Bismarck le savait, mais elle était un peu pataude, un peu encombrante, et Bismarck l’eût préférée plus discrète : « le petit Busch, » d’ailleurs, a dû en entendre bien d’autres, qu’il eut la bonté rare de transcrire honnêtement. Par le nombre de fois que ce qualificatif de sot, ou même mieux, revient dans les conversations et dans les lettres du chancelier, — sots discours, sot personnage, — on peut sentir combien la sottise l’agaçait ; d’elle non plus il n’était pas la dupe, mais il n’ignorait pas qu’une force est en elle, parce que le nombre des sots est infini ; et, parce qu’une force est en elle, il ne l’écartait point de parti pris, et au besoin il l’employait.


II

L’homme politique, possédé de « la funeste habitude du travail, » et, quand il n’est pas en action, toujours en représentation, obligé de livrer, bon gré mal gré, chaque jour quelque part de son temps et comme quelque chose de lui-même aux sots, aux importuns et aux intrigans, s’est donc, en Bismarck, lentement et avec peine, conquis sur l’homme privé, qui abhorrait les sots, les importuns et les intrigans, n’avait de goût que pour l’indépendante simplicité, et n’aimait que le mouvement affranchi de toute contrainte. L’État l’a pris à lui-même et à sa famille ; l’État l’a fait tout différent de ce qu’il était et devait être.

En un point, pourtant, il serait dangereux de pousser trop à fond la comparaison avec le Prince, de soutenir que Bismarck a « modelé son à me » sur les nécessités nationales, et que, dans son langage, le ton de la piété, par exemple, n’est qu’une apparence et un faux semblant. Non ; lame de Bismarck était vraiment pénétrée et comme pétrie d’un vif sentiment religieux : spontanément il fermentait en elle et devenait le levain de sa parole, qui invoquait sans cesse, en les unissant, les deux noms également sacrés de Dieu et de la Patrie, Gott und Vaterland ; c’était une âme à la fois prussienne et chrétienne. Si ce sentiment religieux s’est révélé surtout dans sa parole, et si, dans ses actes, du moins dans les actes décisifs de sa politique, il s’est conduit souvent comme s’il n’était pas chrétien, n’est-ce pas d’abord que son christianisme même était prussien et luthérien, le plus combatif et le plus exclusif, le plus militariste et le plus particulariste qui pût