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lité de quelque chose de fait ou de senti. » On ne comprend sa hâte qu’en se souvenant de cette norne de son rêve, qui lui disait naguère : Hâte-toi !

On pourrait donc, presque, arrêter ici la chronique de la vie de Stein, et ne parler que de ses travaux ; il le disait lui-même dans une lettre de 1884 : « Mes ouvrages sont les événemens de ma vie. » Jetons toutefois un rapide coup d’œil sur ses dernières années avant de terminer cette étude par un dénombrement sommaire de ce que Stein appelait « les événemens de sa vie. »

On sait que, dans les universités allemandes, pour devenir professeur, ou même Privat-Docent, il faut commencer par obtenir le droit d’enseigner (jus docendi), c’est-à-dire justifier, non seulement des examens passés et des grades requis, mais encore, par un specimen habilitatis, d’aptitudes personnelles non moins essentielles que les connaissances acquises. Le candidat présente, au jury nommé par la faculté, une dissertation, et ce n’est qu’après que chacun de ses membres l’a examinée et approuvée, que le jus docendi est accordé ! Appliquée dans l’esprit qui l’a dictée, cette disposition serait et peut être excellente, mais on comprend à quelles tracasseries son application se prête, lorsque la mauvaise volonté s’en mêle, ou lorsque le candidat a plus de talent que ses juges. Je connais, à Munich, un jeune savant qui, depuis trois ans, passe son temps à faire et à refaire son Habilitationsschrift ; son jury compte, entre autres, deux professeurs hostiles l’un à l’autre : s’il rédige sa dissertation de façon à incliner vers les doctrines de l’un, l’autre la rejette, et vice versa... Ce ne fut qu’après avoir refait quatre fois sa thèse sur L’importance qu’il convient d’attribuer à l’élément poétique dans la philosophie de Giordano Bruno, que Stein réussit à réunir tous les suffrages. On ne pouvait nier ni la profonde science, ni le talent exceptionnel du candidat, mais ce qui exaspérait les professeurs de Halle, c’est qu’en parlant de philosophie, loin de se confiner dans les limites traditionnelles, il embrassait la culture générale de l’homme, la religion, l’art même ; et Stein décrit de façon plaisante la « fureur » qui fit bondir l’un de ses professeurs, lorsque, dans la première version de sa thèse, il découvrit le nom de Richard Wagner. Enfin, le droit d’enseigner lui fut accordé, et Stein inaugura sa carrière universitaire par une conférence sur le Discours sur les sciences et les arts de J.-J. Rousseau. Ensuite, il ouvrit deux