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suivre ! Dans le même ordre d’idées, Schiller avait déjà dit : « Pour une âme qui ne connaît pas de bornes, une orientation sûre d’elle-même, c’est déjà la perfection ; apercevoir nettement le but, c’est l’atteindre. »

Stein ne demeura qu’une année dans la famille Wagner, mais resta toujours en étroite communication avec elle ; grâce à une correspondance ininterrompue, à de fréquentes et longues visites aussi, les rapports entre le maître et lui ne perdirent rien de leur intimité. Pareille empreinte, une fois reçue, pouvait-elle s’effacer ? Nietzsche lui-même ne pleurait-il pas en parlant d’autrefois ? Si d’ailleurs quelque chose pouvait augmenter la sympathie que Wagner portait à son jeune ami, c’était bien le viril désintéressement avec lequel ce dernier, quittant son élève, qu’il chérissait, une tâche qui le passionnait, jusqu’à l’atmosphère où il se sentait grandir de jour en jour, sut, au premier appel de la piété filiale, répondre : Me voici !

Déjà, lorsqu’il s’était agi de déclarer ouvertement qu’il abandonnait la théologie, Stein avait vivement redouté la désapprobation de son père ; et voici qu’à cette première douleur, s’en était ajoutée une seconde. Chacun comprendra qu’un baron de Stein ne dut pas se sentir flatté de la vocation que son fils avait choisie. Précepteur ! Comment faire comprendre au vieux gentilhomme qu’il s’agissait, pour Stein, d’une expérience psychologique et sociologique de la plus haute importance à ses yeux ! Ni Jean-Jacques, ni son Vicaire savoyard, lui fussent-ils apparus en chair et en os, n’eussent réussi à convaincre le descendant des capitaines de Würzbourg. Bien plus, précepteur chez Richard Wagner, chez cet homme que l’Allemagne entière s’accordait à honnir et que la presse ne discutait que pour se demander ce qui l’emportait, chez lui, de la folie ou de la vanité ! Ajoutez à cela que le vieux baron était seul, malade, porté à des accès de mélancolie, et que, fixé à Halle, il désirait avoir son fils auprès de lui. Il enjoignit à Heinrich von Stein de venir à Halle, pour y briguer une place de professeur à l’Université. Wagner, à ce moment (automne 1880), habitait l’Italie. On sait quelle radieuse gaîté était son état normal, et se communiquait irrésistiblement à son entourage ; à ce moment, le peintre Joukowsky, d’autres artistes, tous hommes de talent et desprit, étaient les commensaux de la maison. N’oublions pas Franz Liszt et sa fille, Mme Wagner, ni le