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dant, comme en se jouant, des merveilles de science en même temps que de poésie ! Et cet homme, lui aussi, avait les yeux fixés, douloureusement fixés sur le grand problème social, sur cet avenir de l’humanité dont l’angoisse torturait Stein, sur cette question, la plus haute de toutes, que le jeune homme, frappant à toutes les portes, avait posée à Dühring, à tant d’autres, sans arrivera obtenir une réponse ! Certes, Wagner ne cherchait, ni dans la science, ni dans les perfectionnemens de l’industrie le secret du bonheur de l’homme ; bien au contraire, il disait « que le couronnement de toute sagesse humaine est de reconnaître à l’univers une signification morale ; » il ne voyait pas de bonheur possible en dehors de cette sagesse-là, et, pour discerner la fleur divine, il ne faisait qu’ouvrir les yeux, que contempler la Grande Nature, autour de lui et dans son propre cœur… J’ai indiqué les rapports qu’il y a entre la cécité de Dühring et sa philosophie ; pour comprendre Wagner, il faut se pénétrer de ce fait, que son intelligence était tout œil, si je puis ainsi dire. On n’a qu’à ouvrir ses écrits pour se persuader qu’il voit tout ce dont il parle, les personnes et les choses : il n’y a ni abstraction, ni combinaison ; il y a toujours vision.

J’espère que le lecteur, s’il a bien voulu suivre tout ce que j’ai dit plus haut sur Stein, a pénétré assez avant dans sa nature pour deviner l’influence que Wagner put et dut exercer sur lui. Cette impression totale, d’ensemble, vaudra mieux qu’une analyse détaillée, nécessairement incomplète ; peut-être même serait-il téméraire de vouloir poursuivre, jusque dans ses dernières ramifications, ce rapport, tel qu’il s’établit nécessairement entre ces deux hommes. Dans une lettre datée de Bayreuth, deux ans après sa première rencontre avec le maître, au moment même où Stein rompait enfin son long silence et reprenait la série de ses écrits, série qui, désormais, s’accélère et se presse, il dit à une amie que, s’il parle d’espoir, c’est que ce mot a pris enfin un sens pour lui, à la lumière de l’idée que Bayreuth lui a révélée. Il a, poursuit-il, perdu toute illusion sur l’avenir prochain, mais il a trouvé sa foi, une foi inébranlable, dans l’éternelle destinée de l’homme. L’art seul, l’art tel que le comprend Wagner, peut nous donner une société meilleure, parce que l’art seul porte en son sein le secret de la rénovation ; seul, il peut créer et transformer. Certes, il suffit d’un regard sur le monde moderne, pour ne plus discerner, dans ce rêve sublime, que l’audace d’un paradoxe. N’importe ! Devant nous, la route s’étend, droite et claire, il faut la