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struit une sorte de table analytique des genres, table assez compliquée, avec de nombreuses subdivisions, où tout trouve sa place, d’Anacréon à Rückert ; puis ce travail, à peine terminé, ne le satisfait plus, et il se plonge dans un poème interminable, où il fait défiler devant le lecteur ébahi tous les poètes, en commençant par le rossignol et en finissant par Schiller et Goethe ! L’année même où il parvint au baccalauréat, un de ses professeurs lui dit : « Stein, vous escomptez vos forces, vous anticipez sur vos facultés intellectuelles ; vous devriez lire moins et vous instruire plus ; vous ne travaillez plus comme autrefois. » Ces mots firent sur le jeune étudiant une vive impression ; il y revient plusieurs fois dans son Journal. Son professeur avait touché la corde, si sensible chez lui, du devoir ; il se concentre, se remet à l’étude, et passe un examen si brillant que le jury le dispense des épreuves orales. C’est à ce moment qu’il trouve cette maxime qui, boussole librement choisie, doit le conduire désormais sur l’océan de la vie :

Wolle das Grosse und Schœne, dann wird das Können nickt fehlen[1] !

Avant de se rendre à Heidelberg, Stein passa à Berlin des vacances qui lui laissèrent de durables souvenirs. La vie animée d’une métropole, les trésors accumulés dans les musées, les théâtres, tant de choses nouvelles devaient éblouir le jeune homme, élevé à la campagne et dans les villes de province. « J’ai pris la résolution, écrit-il dans son enthousiasme, de passer, quoi qu’il advienne de moi, une bonne partie de ma vie à Berlin ! » À Berlin ! Combien, avant d’y mourir, il devait y souffrir, dans cette ville dont l’atmosphère seule, écrivait-il plus tard, l’empoisonnait ! Il y a lieu, cependant, de retenir durant ce premier séjour un événement capital. Le 24 mars 1874, Stein entendit, pour la première fois de sa vie, les Maîtres Chanteurs, et dans d’admirables conditions, avec Betz et la Mallinger, un Hans Sachs et une Eva formés par Wagner lui-même. Stein, qui jusque-là n’avait assisté qu’à de méchans travestissemens de Tannhäuser et de Lohengrin sur des scènes de province, fut transporté ! Après avoir longuement commenté cette soirée dans son Journal, il ajoute : « J’entends encore cette musique, je revois ces tableaux ; peut-être ces impressions pâliront-elles avec le temps, mais ce qui ne

  1. Veuille seulement le Grand et le Beau, et la force d’y atteindre ne te manquera point !