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une place éminente dans l’histoire de la pensée et de la littérature allemandes contemporaines.

Tel est l’homme que je demande la permission de présenter aux lecteurs français. Je ne puis malheureusement, pour esquisser sa biographie, m’appuyer sur aucun livre, car l’Allemagne elle-même attend encore un travail d’ensemble sur Heinrich von Stein ; mais j’ai pu, en revanche, grâce à l’obligeance de la famille du philosophe, et à celle de plusieurs de ses plus intimes amis, consulter tout au long une série de documens autographes inédits, et d’une valeur capitale. C’est, en premier lieu, le Journal de Stein, une quinzaine de volumes allant (avec de regrettables lacunes) depuis sa quinzième année jusqu’au moment de sa mort ; ce sont ensuite quelques centaines de ses lettres ; et c’est enfin une abondante série d’esquisses de poèmes, de projets de traités, de pensées, etc. Je voudrais tirer de ces documens une synthèse sommaire de la personne de Stein et de sa doctrine.

Mais auparavant il y a encore une observation que je crois devoir faire. J’ai dit que Stein était philosophe : c’était en réalité un esthéticien plus qu’un philosophe, et un poète au moins autant qu’un esthéticien. Mais, avant tout et surtout, c’était un homme, ou, si l’on aime mieux, un caractère : de là vient son charme, comme aussi le succès grandissant de ses écrits. Vainement essaierait-on de séparer en lui le penseur de l’artiste, ou l’artiste de l’homme d’action ; Stein était de ces êtres qui naissent avec le besoin de communiquer au monde quelque grand secret que recèle leur cœur ; toute leur vie est obsédée de cet unique besoin, et ainsi, quelque sujet qu’ils traitent, sous quelque forme qu’ils le traitent, c’est une même idée qui cherche à se frayer un chemin. L’idée dominante de Stein, celle qui fut en quelque sorte la seule raison d’être de toute son œuvre, cette idée consistait à croire que le monde sensible ne nous révèle qu’un faible fragment de la vérité ; que l’homme possède au dedans de lui-même un pouvoir incalculable de connaissance et de création ; et qu’il lui suffirait d’en prendre conscience et de s’en servir pour transfigurer la nature humaine. L’art est une manifestation de ce pouvoir latent, de sorte que l’intuition de l’artiste est d’ordre supérieur à celle du philosophe ; et la vraie grandeur d’un philosophe dépend moins de son raisonnement, de ses théories ou de sa doctrine, que de la personnalité morale qui est on lui. « L’unique chose au monde qui possède une importance, une valeur absolue,