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des difficultés, que la comptabilité de l’impôt sera malaisée à tenir. Cependant, il n’y a pas dans le pays de monnaie régulière… Les spécialistes en finances en verront bien d’autres, si je suis maintenu ici : ils me verront me faire, pour le compte de la colonie, éleveur et marchand de bœufs, cultivateur et marchand de café, et, qui sait ? peut-être mineur… Je veux montrer la voie à nos colons. »

C’est bien le programme économique et administratif succédant au programme politique. Le second comme le premier a ceci de propre, qu’il n’est point un programme au sens français du mot, car il ne s’enferme dans aucune formule préconçue, et n’a d’autre principe que de s’assouplir aux besoins du moment pour mieux servir, non pas telle théorie abstraite, mais l’intérêt actuel du pays. Empirisme vulgaire, sans idéal et sans portée philosophique, diront peut-être quelques esprits chagrins, plus aptes aux méditations solitaires de cabinet et aux vastes envolées philosophiques qu’à la considération de la vie réelle et au maniement des hommes. Non pas : cette conception du devoir civique et de la mission publique a, elle aussi, sa grandeur et ses enseignement vraiment humains. On l’a dit dès longtemps : celui qui a charge d’intérêts généraux est semblable au pilote du voilier qui, n’ayant pour déterminer sa route principale qu’une étoile parfois cachée par les nuages, ou une boussole que certains courans magnétiques affolent, doit prendre le vent, virer de droite ou de gauche, louvoyer même en vue de maintenir sa direction principale. Pour l’homme d’État, l’étoile, c’est le drapeau ; la boussole, le dévouement implacable à la grandeur du pays ; les vents… l’infinie variété des passions nobles ou viles, des événemens nécessaires ou contingens, des accidens prévus ou non avec lesquels il lui faut compter. Que lui importent et sa vie et sa réputation même, s’il a, pour si peu que ce soit, secondé l’essor des forces vives du pays et contribué à préparer utilement l’avenir national ? « L’armée souffre sans se plaindre ; elle ne com j)te point ses morts. » L’homme qui a écrit ces fortes et simples paroles est mieux qu’un militaire : il est un grand citoyen, qui a vécu ses maximes. C’est un inoubliable honneur que d’avoir travaillé avec lui, dans les temps difficiles, pour le service de la France.


André Lebon.