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Au cours de son histoire coloniale presque tout entière, la France a à peu près partout répété la même erreur : elle n’a pas su faire succéder rapidement à de gros sacrifices militaires des sacrifices analogues pour les travaux publics. De là, la permanence de charges annuelles excessives pour le service des transports ; de là aussi une entrave prolongée à l’essor des affaires commerciales et de la colonisation, qui sont pourtant les instrumens les plus prompts et les plus efficaces d’une pacification durable. A Madagascar, la question était particulièrement aiguë : ce pays, plus grand que la métropole elle-même, n’avait que peu de kilomètres de voies navigables, point de routes carrossables, et naturellement point de chemins de fer ni de télégraphes ; comme système de transport, il ne connaissait que le portage, et, par le jeu combiné de l’augmentation du nombre des Européens résidant sur le plateau central et de la suppression de l’esclavage qui avait diminué l’effectif des « bourjanes, » le prix d’une tonne de marchandises allant de Tamatave à Tananarive (environ 300 kilomètres avait passé de 500 à 600 francs, avant la guerre, à 1 200 à 1 500 francs pour l’administration, 1 700 à 2 000 francs pour les particuliers, depuis l’occupation, soit en moyenne 6 francs par kilomètre[1].

Il y avait donc tout à faire dans cet ordre d’idées, mais pour le faire, il n’y avait rien ou presque rien, c’est-à-dire pas d’argent. La route qui avait été tracée sommairement pour amener le corps expéditionnaire de Majunga à Tananarive était très longue, et n’avait pu d’ailleurs résister, au moins dans celles de ses parties qui suivaient le fond des vallées, à la première saison des pluies. Il en advint de même d’une piste muletière qu’aussitôt après l’occupation de Tananarive le génie militaire s’était hâté d’aménager dans la direction de Tamatave. Avec la somme provenant de la conversion de l’emprunt de 1885 on pouvait accomplir, et l’on accomplit, en effet, quelque chose : mais 10 millions sont vite employés quand il faut à la fois construire des casernemens pour les troupes, poser des fils de télégraphe[2], installer quelques

  1. En 1899 encore, ces prix ont été de 1 000 à 1 200 francs la tonne suivant les époques. Sans parler de l’énorme charge financière qui en résulte soit pour l’administration, soit pour les particuliers, des milliers de bourjanes employés à ce service sont distraits ainsi des travaux productifs, ce qui est grave dans un pays ou la main-d’œuvre fait grandement défaut depuis la suppression de l’esclavage.
  2. La ligne de Tananarive à Majunga, qui plaçait la capitale de l’Emyme à portée du câble, fut ouverte le 29 juillet 1897.