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toutes nominations nouvelles dans le personnel civil ; arrêt dans l’embarquement de certains agens déjà pourvus de leur titre de nomination, mais pas encore de leur feuille de route ; ordre de percevoir une taxe de consommation de 120 francs par hectolitre d’alcool, puis un impôt de patentes, puis, plus tard, des taxes de navigation et autres ; ordre d’interrompre les travaux engagés au titre extraordinaire, etc.[1]. Mais tout cela, vu les distances, ne pouvait s’exécuter ad nutum, et, malgré tous les efforts, il fallait s’attendre à un déficit qu’on évalua tout d’abord à un million et demi environ sur le seul budget local.

Comment combler ce déficit ? La soulte de la future conversion semblait tout indiquée pour cet usage : en la grevant de cette charge, on appauvrissait d’un dixième à peine la dotation des travaux publics et l’on faisait l’opération financière la plus régulière du monde. Mais, quand il s’agit de passer de la théorie à l’application, ce fut toute une affaire : le ministère des Finances, qui avait d’abord demandé, non sans raison, que l’affectation de la soulte à des travaux publics ne fût pas édictée avant qu’un plan de ces travaux eût été arrêté, objecta soudain, lorsqu’il fut saisi du plan, qu’il ne lui était plus possible de consentir à ce que la conversion fût garantie par l’Etat français. On avait bien pu en effet, disait-il, concéder au « protectorat » de Madagascar la même faveur que jadis au « protectorat » de la Tunisie ; mais, depuis que la grande île était tombée au rang de simple colonie, elle devait être traitée sur le même pied que les autres colonies ou les départemens français ; or il n’y avait pas d’exemple que la dette de ces derniers eût jamais été garantie par l’Etat.

On conçoit aisément le désarroi où une pareille thèse jeta le pavillon de Flore : Madagascar annexé était plus mal traité que Madagascar protégé ; ce n’était pas seulement une économie annuelle de 200 000 francs sur le service de l’emprunt qu’on empêchait la nouvelle colonie de réaliser, mais une soulte de 12 millions dont elle perdait la libre disposition[2]. Et si l’on considère

  1. Le budget local fut ainsi arrêté pour 1896 à 4 200 000 francs, au lieu de 8 millions auxquels se montaient les propositions premières de la résidence générale (dépêche ministérielle du 9 mai). En réalité, il atteignit 5 300 000 francs, mais ne laissa cependant qu’un déficit de moins de 200 000 francs.
  2. Ce n’est pas la seule étrangeté de l’administration métropolitaine contre laquelle le service colonial eut à lutter. L’emprunt du Comptoir d’escompte, qu’il s’agissait de convertir, était payé sur le produit des douanes locales qui, naturellement, se percevaient dans l’ile. Or, la métropole servait à Madagascar une subvention supérieure à l’annuité ainsi gagée. Le service colonial ne put jamais obtenir qu’on fit à Paris même, en payant directement le Comptoir, compensation entre ces sommes : durant plusieurs mois, c’est-à-dire jusqu’après la conversion effectuée, les écus de la métropole furent expédiés en nature à Madagascar tandis que des traites plus ou moins dispendieuses revenaient à Paris pour payer le Comptoir.