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de chagrin que de colère, — une colère qui éclata tout à coup :

— Ce cousin qui est au fond de l’Afrique, c’est le héros d’un certain roman de notre connaissance, n’est-ce pas ?

— Je ne sais ce que vous voulez dire, répliqua Marcelle, choquée par la brutalité de la question.

Il insista :

— Pardon, vous comprenez très bien que je parle de Tchelovek.

— Puisque Tchelovek est mort et à jamais enterré, le mieux ne serait-il pas de ne plus parler de lui ?

— Très bonne réponse. Mais vous ne m’aviez presque rien dit de ce cousin. Tout ce que je sais, c’est qu’il vous a envoyé en présent de noces un assortiment de colliers, de babouches et de gandouras.

— Les produits du pays où il se trouvait alors… Je crois qu’il aurait beaucoup de peine à trouver dans celui où il est maintenant rien qui put plaire à une femme.

Elle n’était plus du tout troublée, puisant son calme dans l’indignation secrète que lui causait le manque de tact de Salvy et aussi dans la certitude d’être sans reproche. Les réalités du mariage lui avaient fait apprécier la parfaite innocence de son premier roman.

Salvy marcha quelque temps encore la tête basse.

— Il reviendra, dit-il enfin, il reviendra un jour ou l’autre.

— Je l’espère bien pour sa mère. J’espère aussi qu’il trouvera alors une femme digne de lui.

— Vous êtes généreuse et désintéressée.

Elle lui retira son bras qu’il soutenait pour l’aider à franchir un pont et, descendant seule l’escalier de marbre, répondit, très froide :

— Tout le désintéressement est de son côté. Il a été pour moi le meilleur des frères.

— Oh ! nous connaissons cette fraternité entre cousins ! riposta rageusement Salvy.

Elle arrêta sur lui un regard franc et sévère, un regard qui disait :

— Vous le saviez avant de me demander de devenir votre femme, vous saviez que j’avais aimé. Pourquoi me tourmentez-vous ?

Ils rentrèrent en silence.