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contraintes qui accompagnèrent le début de leurs relations. Il éprouvait le caprice le plus vif, un caprice dans lequel entraient beaucoup d’ingrédiens excitans : d’abord cette petite étoile, il l’avait découverte, il l’avait aidée à briller une heure au firmament parisien dont pour l’amour de lui, — et ce serait là le vrai triomphe, — elle allait doucement descendre. Que cette ingénue de lettres fût à la fois intelligente et passionnée, son roman le prouvait assez ; or l’intellect revêtu de jeunesse et de beauté physique, Salvy ne le dédaignait pas, pourvu qu’on lui en fît hommage et, quant à la passion dans une âme virginale, il n’en avait pas encore respiré le parfum, si vaste que fût son expérience. Combien de raisons pour donner suite à cette aventure ! Oh ! elle l’aimerait. Il fallait qu’elle l’aimât de cette façon impétueuse et naïve qu’elle avait une fois exprimée pour un autre. L’emporter sur un jeune rival, le faire oublier, c’était déjà flatteur ! En outre il comptait bien réduire au rang de simple ménagère cette «merlette blanche, » comme il l’avait appelée, sans qu’elle se fâchât. Quel succès peu banal ! Certes il ne posait pas ainsi les choses vis-à-vis de lui-même ; il se trouvait presque magnanime, au contraire, dans son désir d’arracher Marcelle à un intérieur ennuyeux, aux périls et aux ridicules d’une carrière pour laquelle aucune femme vraiment femme n’est faite, eût-elle même donné par accident l’occasion de supposer le contraire ; — telle était du moins l’opinion de Salvy.

Marcelle ignorait ce qui se passait en lui. Elle jouissait de l’heure présente, de la nouveauté du contact direct avec un esprit d’élite, de ces entretiens où elle écoutait le maître parler si bien de ce qui, depuis longtemps, l’intéressait par-dessus tout ; elle se sentait élevée au-dessus d’elle-même et de tout ce qu’elle avait pu rencontrer jusque-là. Rien qui ressemblât à l’entraînement aveugle que lui avait inspiré Robert, son cousin, son égal ; elle n’y songeait plus qu’avec confusion, comme à un enfantillage qui n’était pas sans mélange d’une certaine grossièreté. Et Jean Salvy lisait en elle à livre ouvert ; il n’était point indifférent à son admiration presque craintive, tout on se promettant d’obtenir mieux encore. Le moyen le plus sûr pour cela était d’éveiller, d’entretenir en elle l’orgueil et la curiosité.

Autant qu’elle-même il était curieux. Il l’avait toujours été de la femme, et ses recherches sur ce chapitre, bien que poussées dans toutes les directions, l’avaient conduit à des résultats assez