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— Heureusement je ne vous avais pas vue avant de vous critiquer. Il m’eût été difficile de rester impartial. Vraiment, vous excusez mon pédantisme ?

Pour faciliter le tête-à-tête entre les deux héros de sa soirée, Mme Helmann entraîna Mme des Garays vers un canapé où elle s’assit auprès d’elle.

— Ainsi je vous aurai encouragée à continuer ? disait Salvy.

Elle hésita un instant avant de répondre comme si, pour la première fois, elle eût admis cette hypothèse.

— Je ne sais vraiment pas si je désire recommencer jamais mon aventure, répliqua-t-elle enfin. Il me semblait avoir quelque chose à dire ; je l’ai dit, c’est fait. Mon expérience de la vie est courte.

— Vous vivrez encore.

Il la regardait d’une façon qui l’embarrassa. Ne sachant que répondre, elle eut un petit haussement d’épaules indécis.

Tous les deux étaient debout près de la cheminée. Jean Salvy avança un fauteuil avec l’intention évidente de prolonger l’entretien, bien que tous les hommes fussent passés au fumoir et que Faucombe lui eût lancé de loin un : — Vous ne venez pas ? un peu railleur.

— Dois-je comprendre que vous auriez cette suprême sagesse de poser à tout jamais votre plume après avoir réussi du premier coup ?

— Je ne sais si ce serait de la sagesse ; je ne sais pas ce que je ferai. Une fois j’ai jeté sur le papier beaucoup de choses auxquelles j’avais longuement pensé, voilà tout.

— Des choses senties, c’est là le véritable intérêt de votre livre qui, d’ailleurs, est rempli de défauts.

— Vous l’avez bien fait entendre, dit Marcelle avec un rire franc, et cela m’a été plutôt agréable, cela m’a aidée à croire que vous disiez vrai pour le reste.

— Pas l’ombre de vanité professionnelle, pensa-t-il.

Il l’interrogea sur sa vocation, sur les commencemens qui sont les mêmes pour tous ceux que tourmente le démon d’écrire : — des sensations intenses, aiguës, qui font qu’une vie d’artiste, fût-elle sans événemens extérieurs, vaut à elle seule plusieurs vies, le besoin irrésistible d’exprimer, de donner une forme à ce que l’on éprouve, de reproduire, de fixer, avec les émotions qu’elles vous suggèrent, les images qui frappent vos yeux.