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mais elles n’en proclamaient pas moins Mme des Garays bien heureuse. Toutes ces demoiselles, Claire de Vende, Berthe Reboulet, Kate Morgan et les autres, ne tarissaient plus sur ce merveilleux roman dont elles ne connaissaient que l’auteur et le titre ! Un vague sentiment d’envie possédait quelques-unes d’entre elles.

— Être lancée par Jean Salvy, songez donc, ma chère ! Comme ça, du jour au lendemain !

— Et quelle duplicité ! Comme elle s’est moquée de nous ! s’écriait Claire.

Berthe se vantait d’avoir lu, étant de toutes la plus mal gardée. Elle discutait quelques passages qu’elle trouvait « vieux jeu : » — Le roman sentimental a fait son temps, ne trouvez-vous pas ? Si j’écrivais, moi, ce serait un roman de sport dont l’héroïne serait une bicyclette !

Seule, la petite Nicole n’éprouvait aucune surprise, rien que de la joie sincère. Elle avait toujours reconnu dans Marcelle « un être à part ; » sa vénération pour elle augmenta.

Cependant le fameux secret se répandait de plus en plus. Un journal du « high-life » glissa de fines allusions à « cette jeune fille portant le nom d’une de nos gloires militaires, qui tenait la plume comme son père avait tenu l’épée. » Des fragmens de Brusque Réveil furent reproduits un peu partout, et les attardés dont l’admiration hésitait encore suivirent l’élan une fois donné. Car le nombre de gens qui osent penser eux-mêmes quelque chose d’un livre ou d’une pièce est singulièrement restreint. Durant trois semaines au moins, Tchelovek fut à la mode ; toutes les avances qui s’adressent aux royautés naissantes lui furent prodiguées. Les invitations pleuvaient chez Mme des Garays, peu disposée à sortir de sa retraite pour parader, comme elle disait, en mère de la débutante. Elle le déclara tout net à Mme Helmann, qui la pressait de venir dîner chez elle avec Jean Salvy, très impatient de rencontrer Tchelovek.

Les politesses dont on l’accablait, après un assez long abandon, froissaient en elle plus d’un genre d’orgueil.

— Refusez si bon vous semble, maman, dit Marcelle, je n’en aurai aucun regret.

Elle était de bonne foi, redoutant d’affronter en personne la présence de son juge. Autant elle avait toujours adoré le poète, autant l’homme lui inspirait peu de curiosité. Ses portraits lui