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LA MORALE DE BISMARCK

L’HOMME


I

Si le Bismarck de l’histoire était le seul Bismarck, sa vie politique serait toute sa vie, et sa morale d’Etat toute sa morale ; mais on sait que ce ne fut point le seul, ni peut-être le vrai, et, en tout cas, ce ne saurait être le seul vrai, puisque ce ne fut pas le seul. Voici donc l’autre, le double, celui qui vécut en marge de l’histoire, qui se déroba ou se reprit à l’Etat, que de loin on ne connut pas, que ceux qui le soupçonnèrent connurent imparfaitement, et qui ne fut visible que de tout près, chez lui, et à ses intimes.

Le premier, l’homme d’Etat, ne voudrait pour rien être déchargé des affaires d’Etat, et pourtant au second elles pèsent. De ce second Bismarck on peut dire, sans forcer les termes, que c’est le Bismarck de la nature. Ainsi la nature l’avait fait ; elle l’avait fait pour courir la forêt à cheval des journées entières, y mener des chasses enragées, et, au retour, se remettre de ses fatigues seigneuriales par de seigneuriales ripailles : elle lui avait donné le corps puissant, les puissans appétits, le goût des puissans plaisirs d’un gentilhomme d’autrefois ; et ce n’était pas l’étudiant de la Georgia-Augusta, fier de n’avoir suivi qu’une heure de cours en deux ans, de n’avoir lu que quatre auteurs, de ne s’être montré à l’Université qu’en bottes à l’écuyère et avec ses dogues, ce n’était pas l’apprenti fonctionnaire tout de suite las de